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Replanter des arbres : pour quoi faire au juste ? (2/3)
jeudi, 10 février 2011
/ Alice Bomboy / Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique. |
Replanter un arbre = quelques kilos de CO2 absorbés. Mais la compensation carbone est un système bien plus complexe qu’une simple équation. Enquête sur les projets de reforestation depuis la France jusqu’au Kenya. (2ème partie)
(lire la 1ère partie de ce reportage)
Lorsque Wangari Maathai a lancé son mouvement, elle aussi avait cette conviction : si les enfants se mettaient à souffrir de carence alimentaire dans les Aberdares, c’était parce que les villageois avaient troqué leurs cultures vivrières pour des plantations de thé et de café. Et celles-ci avaient fini par avoir raison des forêts qui, notamment, ne fournissaient plus assez de bois pour cuisiner, entraînant un changement de régime alimentaire... Coincée entre la forêt kenyane de Geta et celle de Kipipiri, la ferme de Ndirangu Macharia n’aurait ainsi jamais dû manquer d’eau, arrosée par les ruisseaux dévalant des sommets alentours. Si ce n’est que leurs pentes sont bien dégarnies : les arbres y ont été coupés un à un, causant une érosion dramatique des sols et modifiant jusqu’au climat local. « Les pluies ont fini par diminuer et les cours d’eau se sont asséchés, explique le vieux paysan de 70 ans. Ça a posé beaucoup de problèmes avec nos cultures ». Les dégâts ne sont d’ailleurs pas que locaux. « Les Aberdares, avec quatre autres massifs, sont les “châteaux d’eau” du Kenya, ce sont eux qui fournissent de l’eau à tout le pays : quand les forêts des Aberdares souffrent, on le ressent jusqu’à Nairobi. Réhabiliter ces réservoirs d’eau est essentiel en terme de développement, que ce soit d’un point de vue agricole, sanitaire ou énergétique », explique Nyokabi Gitahi, chargée de mission à l’Agence Française de Développement, qui soutient le GBM à hauteur de 1,3 million d’euros de 2006 à 2011.
Le dos courbé dans son champ de carottes, Wanbui, la femme du propriétaire, s’arrête quant à elle un instant de sortir de terre les tubercules oranges. « Depuis que nous travaillons avec le Green Belt Movement, nos récoltes se sont aussi améliorées parce que nous avons appris de nouvelles méthodes de culture, notamment comment améliorer la qualité des sols, affirme-t-elle. Mais pour nourrir les six personnes de ma famille, nos terres restent insuffisantes. Alors quand on nous verse l’argent lié à la plantation des arbres, ça nous aide aussi pour acheter de la nourriture au marché ». La communauté de la pépinière Kianugu, comme 6 000 autres groupes officiant au Kenya, se voit en effet verser 5 shillings (environ 5 cents d’euros) par arbre replanté. « Il y a des conditions, précise Mercy Karunditu, chargée de projet pour l’association. Les arbres ne sont payés qu’après 6 mois de croissance et de surveillance en forêt par les membres de la pépinière. Sans cela, ils pourraient être mangés par du bétail et tout notre travail ne servirait à rien ! ».
Autre impératif pour une reforestation fructueuse : que la nouvelle forêt s’intègre dans l’environnement naturel. Au Kenya, plutôt que de fournir directement des graines aux pépinières, des échantillons sont maintenant directement récoltées dans les forêts environnantes. « Cela nous permet de reboiser en respectant la composition en espèces indigènes. Les communautés locales savent à quels moments les récolter, comment les faire pousser, et nous leur faisons confiance pour mettre œuvre ces savoirs dans la reforestation », explique Reuben Nduati, un des agents sillonnant le terrain pour s’assurer du bon déroulement du reboisement. Pour apprécier les exploits qu’accomplissent les villageois pour remettre leur forêt sur pieds, direction la forêt de South Kinangop, au sud des Aberdares. Après deux heures de marche en forêt, sur des chemins rincés par les pluies et encadrés par un garde armé pour gérer les éventuelles rencontres avec des singes, rhinocéros et autres buffles, une clairière replantée en 2006 apparaît enfin... piétinée par un éléphant ! « Avec la saison des pluies, les routes sont impraticables et les femmes parcourent tout ce chemin à pied, en portant les pousses sur leur dos. Elles en ont déjà amené 17 000 ici !, raconte Mercy Karunditu. Pour l’instant, elles n’ont utilisé qu’une seule espèce, qui n’est pas mangée par les éléphants. Quand la forêt sera plus vigoureuse, nous la complèterons avec les autres espèces ».
Et mes 145 euros dans tout ça ? Une certitude : j’abandonne ma course à la séquestration de carbone et au certificat de compensation, qui n’a que peu d’intérêt pour un particulier. « Pour une entreprise, c’est différent, admet Nicolas Metro. Quand elle finance la plantation de millions d’arbres et qu’elle veut valoriser cette action par un certificat de compensation, on peut toujours mettre en marche une méthodologie, complexe mais existante, pour lui vendre des crédits carbone ». Reste, pour ma part, à trouver mon projet coup de cœur parmi tous ceux proposés par les opérateurs, au simple titre de la « reforestation utile aux communautés locales ». Et c’est déjà pas mal.
A lire aussi :
la 1ère partie de ce reportage
Choisir son projet de reforestation : mode d’emploi (3/3)