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Gaz de schiste, on touche le fond !
jeudi, 3 février 2011 / Serge Orru /

Directeur général du WWF France

Pour le directeur général du WWF et chroniqueur de Terra eco Serge Orru, les gaz de schiste sont une réponse « vaine et dangereuse » au désir d’indépendance énergétique de la France.

L’histoire remonte à 2010 quand le Ministre de l’Ecologie d’alors octroie des permis d’exploration dans le sous-sol français afin d’évaluer les réserves en gaz de schiste. De grands groupes tels que Total et GDF-Suez, alliés pour l’occasion avec des compagnies américaines débuteront leurs recherches dans plusieurs départements (Moselle, Ardèche, Aveyron, etc.) et dès ce mois-ci en Seine-et-Marne. Au secours !

Le gaz de schiste est un gaz non conventionnel dont la technique d’extraction est nouvelle pour les entreprises françaises. Non conventionnel car il ne concerne pas comme d’ordinaire des poches de gaz présents naturellement dans le sous-sol. Dans ce cas, après avoir foré pour atteindre la couche de schiste située entre 2000 et 3000 mètres de profondeur, on explose la roche à l’aide d’eau, de sable et de produits chimiques propulsés à très haute pression. Le gaz prisonnier de la roche est alors extirpé puis évacué vers des réservoirs ou pipelines en vue de produire in fine de l’électricité.

Ce gaz est exploité depuis de nombreuses années aux Etats-Unis, premier producteur mondial. Parce qu’elles n’avaient pas acquis le savoir-faire, les entreprises françaises ont donc dû s’adjoindre les services de leurs consœurs américaines. C’est que l’expérience américaine mais aussi canadienne représente en la matière un précédent auquel il est intéressant de se pencher. De l’autre côté de l’Atlantique, l’exploitation du gaz de schiste a occasionné des dégâts environnementaux et sanitaires considérables. Mais nous ferons mieux qu’eux, parole de Total ! Ah la french touch…

Outre la multiplication des puits de forage dans le paysage - car ces derniers doivent être nécessairement rapprochés - il faut considérer les impacts sur les nappes phréatiques, la faune et la flore ainsi que les émissions des gaz à effet (GES) engendrées par la production. L’eau d’abord : chaque explosion ou « fracturation » de la roche demande 15 à 20 millions de litres (soit la consommation quotidienne d’une ville de 40 000 habitants) chargés de produits chimiques dont on ne maîtrise pas le risque de dissémination dans les nappes phréatiques (sans compter l’armada de camions-citernes nécessaire pour l’acheminer entrainant émissions de GES et pollution de l’air). Quid ensuite de l’eau ayant servi, elle ne peut revenir dans le circuit classique des eaux usées et est stockée dans des grands bassins.

L’érosion de la biodiversité végétale et animale est une autre conséquence à laquelle s’ajoutent des émissions de gaz à effet de serre incompatibles avec les objectifs de diminution engagés par la France et l’Europe. Comme le gaz conventionnel, le gaz de schiste est composé de méthane qui a un impact extrêmement élevé en termes de GES et peut-être de plus accompagné de particules radioactives à l’origine contenues dans le sous-sol : radium 226 solide et par suite le gaz radioactif radon 222.

Le développement de la production du gaz incriminé est perçu par l’Etat comme l’une des solutions possibles afin d’atteindre l’indépendance énergétique. C’est là une idée aussi vaine que dangereuse. Quand bien même ces explorations aboutiraient à réévaluer à la hausse les volumes disponibles, les réserves de gaz de schiste dans le monde resteront réparties très inégalement. Selon les estimations actuelles, l’Europe en possède quatre à six fois moins en milliards de barils équivalent pétrole par rapport à l’Amérique du Nord, l’Asie ou le Moyen-Orient. Envisager d’investir des sommes colossales dans cette filière revient une fois de plus à repousser la nécessaire transition énergétique vers les alternatives renouvelables, seule politique en mesure de répondre aux défis posés par notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles et des importations.

Affirmons-le avec force : nous n’avons pas de pétrole, soyons innovant sans détruire le vivant ! Le photovoltaïque, l’éolien, l’hydraulique, l’énergie marémotrice, etc. sont des sources d’énergie propre disponibles localement et dont le développement conjugué peut répondre à nos besoins. Pourquoi creuser les entrailles de la Terre et y laisser du poison quand la planète nous offre en surface et dans l’air les ressources suffisantes pour produire de l’électricité à moindre impact ? Le fait que la France ait accumulé un retard majeur sur le plan de ses filières industrielles d’énergies renouvelables devrait l’inciter à ne plus perdre de temps et concentrer ses efforts sur les ENR et la maitrise de l’énergie car trop souvent gaspillée.

Sorti le 3 février 2011, le Rapport sur l’Energie du WWF trace les perspectives à horizon 2050 pour une production décentralisée et entièrement renouvelable. Il rappelle au besoin que s’il n’y a pas de scénario de moyen terme qui entrevoit une transition énergétique en se passant du gaz, il existe en revanche une différence importante entre gaz conventionnel et non conventionnel. Concernant ce dernier et en contradiction avec l’exigence fixée par le Grenelle, aucune mise en discussion préalable n’a été conduite. A l’image du pétrole et du nucléaire, ce sujet échappe au débat public.

Oui, nous trouverons des réserves de gaz de schiste, oui nous pouvons tenir un peu plus longtemps avec le pétrole en forant toujours plus loin dans le sol, oui les risques industriels vont s’accroître parallèlement et oui l’énergie coûtera ce faisant de plus en plus cher…Caresser un cercle il devient vicieux, creuser le sol et vous toucherez le fond. Cessons de vivre en sursis dans une société masochiste, halte au gaz de schiste !

- Signez la pétition « Gaz de schiste : non merci ! »