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Gaz de schiste : Bové attend beaucoup plus de NKM
jeudi, 3 février 2011 / Julien Kostrèche

Pour le député européen (EELV) José Bové, la mobilisation contre les gaz de schiste gonflera tant que le gouvernement n’abrogera pas les permis d’exploration qu’il a accordés.

Terra eco : Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM), ministre de l’Ecologie, a annoncé ce mercredi la mise en place d’une mission sur les enjeux environnementaux de l’exploitation des gaz de schiste. Elle a précisé qu’« aucune autorisation de travaux ne sera donnée ni même instruite avant le résultat de cette mission ». Vous vivez sur le plateau du Larzac et êtes directement concerné [1]. Etes-vous satisfait par ces déclarations ?

José Bové : J’en prends acte. C’est déjà ça. Mais comme souvent, quand on ne sait pas comment répondre à une question, on crée un groupe de travail ou une mission. Mais c’est tout de même invraisemblable qu’on délivre des permis et qu’il faille attendre que les gens se mobilisent pour s’interroger sur l’impact environnemental de ces forages... Cela dit, il faut reconnaître que Nathalie Kosciusko-Morizet est bien seule à s’exprimer sur le sujet au sein du gouvernement. Eric Besson, qui a officiellement repris le bébé, est resté jusque-là étrangement silencieux. D’ailleurs, la responsabilité d’accorder ces permis n’incombe pas à l’actuelle ministre de l’Ecologie qui n’occupe ce poste que depuis quelques mois, mais à Jean-Louis Borloo. Et on peut se demander si lui-même n’a pas agi sur ordre du chef de l’Etat pour lancer un si vaste projet. Je veux maintenant savoir si le gouvernement est prêt à abroger les permis pour ouvrir le débat.

La ministre de L’Ecologie a aussi expliqué la semaine dernière qu’il n’était pas question de recourir aux techniques d’extraction américaines jugées « dangereuses ». Cela vous rassure-t-il ?

C’est un leurre. En réalité, il n’existe aujourd’hui pas d’autre solution que la fracturation hydraulique. Elle implique l’utilisation de produits chimiques, avec les risques pour l’eau et les problèmes de gestions de déchets que l’on connait au Canada ou aux USA. Et les entreprises françaises comme Suez n’auront d’autre choix que de recourir aux sociétés américaines auxquelles elles sont adossées, et qui sont les seules à maîtriser les techniques d’extraction pour exploiter ces gaz.

Pour l’instant, il ne s’agit que de permis d’exploration, et non d’exploitation...

Oui, sauf que pour explorer il faut forer, et recourir à la fracturation hydraulique, avec tous les risques qu’elle comporte. En réalité, le forage d’exploration est la première étape du processus commercial : c’est là où sont effectués les premiers forages que les gaz sont par la suite exploités.

L’opposition aux gaz de schiste est montée très vite ces derniers mois. Comment l’expliquez-vous ?

Ça fait longtemps que je n’ai pas vu sur le plan environnemental une telle mobilisation. Aux Etats-Unis, les industriels ne reculent pas, mais l’opinion est maintenant en mesure de freiner le développement de nouveaux projets de forage. Le gouvernement canadien pensait lui aussi que ça se passerait bien, mais ça tourne au fiasco pour eux. Chez nous, ce dossier est en train de prendre une grosse ampleur. Tous les jours, des maires, des conseils généraux ou régionaux prennent des décisions pour marquer leur opposition ou réclamer un moratoire. Notre pétition a déjà récolté 23 000 signatures en 15 jours. L’opposition ici est d’autant plus forte qu’elle se nourrit des expériences malheureuses d’exploitation de ces gaz aux Etats-Unis et au Canada. Et ce n’est pas terminé, le film américain Gasland, qui dénonce les dangers de cette industrie, vient d’être nominé aux Oscars !

Le besoin en énergie pour alimenter la croissance mondiale est tel qu’on peut douter que les industriels et les Etats renoncent facilement à exploiter ces gisements...

C’est le débat de fond qu’il faut avoir. Vendredi prochain un sommet de l’Union européenne se tiendra à Bruxelles sur l’avenir énergétique de l’Europe. De quelles sources disposons-nous, quelles sont les meilleures, celles qui émettent le moins de CO2, quelles économies sont possibles, comment arrêter le gaspillage actuel ? Il faudra se poser toutes ces questions. Et je suis particulièrement curieux d’entendre la position de la France sur les gaz de schiste lors de ce sommet. Va-t-elle considérer cette source d’énergie comme "positive", avec la Pologne, ou bien s’y opposer comme l’a déjà fait la Suède ?

Ce débat houleux sur les gaz de schiste en France n’est-il pas une aubaine pour le nucléaire ? Areva se targue justement de développer une énergie peu émettrice en CO2 dans sa dernière campagne de publicité

C’est d’abord une aubaine pour les industries qui lorgnent sur ces gaz. En annonçant des stocks phénoménaux, peut-être bien supérieurs à la réalité puisque personne ne connaît exactement l’état des réserves, ils ont fait monter leurs actions en bourse. Mais je peux vous dire que si je m’oppose aux gaz de schiste, ce n’est certainement pas pour faire la promotion du nucléaire qui n’est pas une énergie durable. Je ne parle même pas du problème des déchets. Il s’inscrit sur un temps court car les ressources en uranium sont loin d’être éternelles. Il faut aussi regarder le coût réel de cette industrie et la comparer aux autres pour vérifier si elle est plus rentable, avant de la présenter comme une solution d’avenir. Pour moi, la question de la sortie du nucléaire reste clairement posée.

Quelle va être la suite de la mobilisation pour vous ces prochaines semaines ?

Nous allons continuer à mobiliser les élus locaux, leur rappeler que l’exploitation de ces gaz suppose la construction d’infrastructures importantes qu’il faudra financer (routes de 15 mètres de large pour les camions, canalisations, lieux de stockage...) Ils comprennent bien que le Larzac n’est pas le désert américain, que l’impact sur le paysage sera énorme alors que les emplois créés par cette industrie resteront minimes. Nous montons actuellement des collectifs pour élaborer une stratégie commune fin février à Valence. Et nous mettons également sur pied une équipe juridique solide pour attaquer l’Etat, si toutefois il persiste à vouloir autoriser les forages.

A lire sur Terra eco :
- notre enquête La France se rêve en usine à gaz (de schiste)