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Droit au logement : « Il n’y a pas eu l’électrochoc qu’on attendait »
mardi, 1er février 2011 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

3,6 millions de personnes sont mal-logées ou SDF en France selon le dernier rapport Fondation Abbé Pierre. La preuve que le « Droit au logement opposable » a échoué ? Réponses de Christophe Robert, délégué général adjoint de la fondation.

Terra eco : Vous venez de publier des chiffres alarmants sur le mal-logement en France. L’occasion pour nous de revenir sur le « Droit au logement opposable » (Dalo) qui était censé améliorer la situation. Alors, où en est le Dalo ?

Christophe Robert : Depuis le 1er janvier 2008 et l’entrée en vigueur de la loi, on a assisté à une montée en puissance. C’est un droit qui fonctionne dans la plupart des régions. Reste une grande difficulté dans six zones qui représentent 85% des besoins : l’Ile de France d’abord, Provence Alpes Côte d’Azur, Rhône-Alpes, Languedoc Roussillon, Pays de la Loire et Nord-Pas de Calais. En clair, il y a un problème d’offre de logements en face de ce nouveau droit.

Le Dalo n’a donc pas enrayé la pénurie de logements ?

Non. Pourtant l’idée de la loi était de forcer les pouvoirs publics à agir. Certes, le Dalo a permis de mieux utiliser les outils déjà existants. Par exemple, de remettre de l’ordre dans le contingent préfectoral, cette enveloppe de 25% de logements sociaux dont dispose le préfet et réservés aux plus défavorisés. Mais ce n’est qu’une petite bataille. La deuxième bataille devrait consister à élargir le contingent. Ça commence à se faire. Selon un accord récent (un décret du 27 décembre 2010, ndlr) les entreprises concernées par le 1% patronal doivent mettre à la disposition des plus démunis 25% de leur parc de logement. Mais l’accord n’est pas encore effectif. Enfin, il faut construire massivement. Il manque 900 000 logements en France. Ce qui crée une tension, une concurrence sur le marché. En clair, s’il a permis des progrès, le Dalo n’a pas causé l’électrochoc qu’on attendait.

Que se passe-t-il quand les promesses de l’Etat ne sont pas tenues ?

Les citoyens peuvent déposer un recours devant le tribunal qui peut enjoindre l’État à régler une astreinte journalière. Prenons le cas de Mme X. Si elle est jugée prioritaire (1) et que sa demande de logement n’a pas abouti, à chaque journée qui passe, l’astreinte augmente. Aujourd’hui 6,8 millions d’euros ont été ainsi dépensés. Le montant aurait été supérieur si la loi Boutin n’avait pas été adoptée. Avant ce texte, le tribunal administratif avait la liberté de fixer le prix des astreintes. Maintenant leur montant est encadré et dicté notamment pas la taille des ménages, le nombre de m2 souhaitables, etc. De manière générale, la loi Boutin a réduit le coût des astreintes et donc l’effet de levier de la loi. Même si je ne pense pas que l’État apprécie beaucoup d’être montré du doigt par les tribunaux. Enfin, il faut savoir que cet argent ne sert pas à dédommager les victimes. Il va dans un fonds destiné au financement des logements sociaux... géré par l’État.

Pourquoi les familles ne touchent-elles pas les dédommagements ?

Parce que la loi n’a pas été conçue comme ça ! L’idée c’était de forcer les pouvoirs publics à agir. C’était la philosophie du législateur. Du coup, aujourd’hui, la Fondation Abbé Pierre comme d’autres associations ont entamé des actions en justice pour obtenir des dédommagements des personnes au nom du préjudice personnel. Nous avons obtenu un premier résultat, il y a quinze jours. Mais ce dédommagement intervient au terme d’un long processus. Les gens ont d’abord attendu trois ou six mois (selon les départements, ndlr) l’examen de leur dossier puis l’expiration du délai dans lequel l’État devait les reloger.

Ça ne pousse pas vraiment les gens à ouvrir un dossier, si ?

Non, c’est une des raisons pour laquelle il y a moins de dossiers que ce que nous pensions. Les ménages et les personnes qui les accompagnent pensent parfois que déposer un dossier ça ne sert à rien. Avec le Dalo, ils n’auront pas forcément de logement et ne seront pas indemnisés s’ils n’obtiennent rien. Aussi sommes nous très vigilants à ce que les leviers initiaux prévus dans la loi ne tombent pas.

(1) Les catégories prioritaires sont les personnes :
- dépourvues de logement
- menacées d’expulsion sans solution de relogement
- hébergés dans un logement transitoire
- hébergés dans un logement insalubre
- hébergés dans un logement « surpeuplé »

Une sixième catégorie concerne toute personne qui a fait une demande de logement social et n’a reçu aucune proposition adaptée dans un délai « anormalement long ». Cette sixième catégorie ne pourra déposer un recours qu’à partir du 1er janvier 2012.


Le Dalo en chiffres

- 194 700 recours entre janvier 2008 (entrée en vigueur de la loi) et fin septembre 2010
- 43% ont donné suite à des décisions favorables avec de fortes disparités d’un département à l’autre
- 30 300 personnes relogées dans un logement et 3 300 dans une structure d’hébergement
- 4 844 jugements rendus entre le 1er septembre 2009 et le 31 août 2010 dont 77% favorables au demandeur. Fin septembre 2010, il y avait eu 1562 ordonnances de liquidation d’astreintes pour un montant de 6,8 millions d’euros.

- 4e rapport du Comité de suivi de la mise en œuvre du DALO (décembre 2010)
- « L’état du mal-logement en France », 16e rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre.
- Le budget du logement 2011


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