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Comment l’Etat nous met au régime
mercredi, 26 janvier 2011
/ Louise Allavoine
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/ Anne de Malleray
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Les dépenses de santé liées au surpoids menacent d’exploser. Du coup, les Etats tentent tout : prévenir, sanctionner, taxer, et même payer les obèses pour maigrir.
Allez, répétons la leçon : « au moins cinq fruits et légumes par jour » et « des féculents à chaque repas ». Régulièrement, des campagnes viennent sonner les cloches des Français. Depuis 2001, l’Etat s’inquiète pour notre courbe de poids et a dégainé un Programme national nutrition santé (PNNS), renforcé d’un Plan obésité en mai 2010. Les mesures – en cours d’élaboration – sont inspirées d’un rapport concocté par des scientifiques et des représentants de l’industrie agroalimentaire. Au menu : éducation, dépistage et accès pour tous aux produits sains. A l’école, le plan préconise d’imposer l’équilibre des repas dans les cantines scolaires, d’ajouter des cours de cuisine et des leçons sur la nutrition, ainsi que d’augmenter l’activité physique. Sur le plan médical, le dépistage et le suivi de l’obésité doivent être généralisés à tous les enfants d’ici à 2012. Une mesure – qui fait grincer quelques dents – propose la création d’un logo facilement décryptable pour signaler la qualité nutritive des meilleurs produits, à l’image de ce qui existe en Suède, depuis 1989, sous le terme « green keyhole ». Selon le professeur Dominique Turck, pédiatre et membre de la commission, l’une des priorités du plan sera la réduction de la « facture nutritionnelle », l’obésité touchant principalement les populations défavorisées. Cette idée est aussi développée en Grande-Bretagne, où le gouvernement vient d’annoncer la distribution de 5 millions de coupons valables sur des produits sains de marques comme Nestlé, Unilever ou Kellogg’s…
En France, une enquête réalisée par BVA en 2007 montre que plus des deux tiers des enfants de 8 à 14 ans sont capables de citer l’un des bandeaux sanitaires rendus obligatoires sur les publicités alimentaires depuis 2006. Exemple ? « Evitez de manger trop gras, trop salé, trop sucré. » Néanmoins, les bambins restent toujours aussi accros aux douceurs et aux snacks vantés dans ces mêmes réclames. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l’interdiction pure et simple de la publicité pour ces produits aux heures où les enfants sont susceptibles d’être devant la télé. En 2009, l’Assemblée nationale a pourtant rejeté un projet de loi visant à instaurer de telles restrictions. En échange, industriels et chaînes de télévision ont signé une charte s’engageant à diffuser des programmes éducatifs et offrir 60 % de remise sur les spots valorisant la consommation de fruits et légumes. Le secteur alimentaire représentant le second marché publicitaire télévisuel, on imagine les intérêts économiques en jeu. Alors que la France bataille avec ce serpent de mer, le Québec, la Suède et la Norvège ont totalement banni ce type de pubs de leurs écrans.
L’obésité coûte cher au système de santé publique, entre 2 % et 6 % des dépenses de santé dans les pays européens et plus de 9 % aux Etats-Unis, selon l’OMS. Alors « pourquoi ne pas taxer les gros ? », suggérait un député allemand de la CDU, en juillet 2010, provoquant un tollé dans son pays. Pourtant, aux Etats-Unis, les Etats d’Alabama et de Caroline du Nord ont décidé de relever les frais d’assurance santé de leurs fonctionnaires obèses à partir de 2011. Dans la vie quotidienne, cette taxation a pris des formes discriminantes selon des associations d’obèses. Ainsi, chez Air France KLM, les personnes trop larges, contraintes de réserver un second siège, doivent payer ce dernier 75 % de son prix. Il leur est remboursé, à condition que l’avion ne soit pas complet.
La Grande-Bretagne a opté pour une ligne originale : offrir de l’argent contre une meilleure hygiène de vie. En 2009, les services de santé du Kent, au sud-est de l’Angleterre rémunéraient les kilos perdus. Tentant ? Le programme, appelé « Pounds for pounds », visait à lutter contre l’obésité, pas les kilos superflus. Les 402 volontaires retenus pour ce test d’un an se voyaient ainsi offrir de 70 à 425 livres (85 à 510 euros) pour faire pencher l’aiguille de la balance dans le bon sens.
« Des livres contre des kilos » n’est pas le seul programme britannique de ce type. Suivons Rebecca qui doit accoucher dans quelques semaines. Cette Ecossaise de 28 ans pointe aujourd’hui chez son pharmacien pour son test respiratoire hebdomadaire. Si son taux de monoxyde de carbone ne révèle aucune trace de tabagisme, elle pourra disposer de 12,5 livres (15 euros) en bons d’achat à la caisse de son supermarché. Et cela, comme chaque semaine où elle s’abstient d’en griller une. La jeune femme, fumeuse durant les onze ans précédant sa grossesse, s’est inscrite à « Give it up for baby », un plan de sevrage tabagique rémunéré, initié en 2007 par les services de santé de Dundee (Ecosse). « Ils étaient lassés du manque d’efficacité des méthodes classiques », témoigne Andrew Radley, leur consultant en santé publique.
Selon une étude de l’université d’Oxford, le tabagisme coûte chaque année 6 milliards d’euros au système de santé britannique. Comptez 5 milliards pour les maladies liées à l’obésité dans ce pays européen le plus touché par ce mal occidental. La facture pourrait même doubler d’ici à 2050 selon le département de la santé.
N’attendez pas de la Sécu qu’elle en fasse de même ici. Les autorités françaises n’ont jamais engagé de plan de ce type, a indiqué la Direction générale de la santé à Terra eco. Et ce n’est pas au programme. « Nous sommes dans une logique de responsabilisation par l’information des personnes plutôt que de mérite. Ce n’est pas la même culture », souligne Jeanne Bariller du service de communication du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé.
En écartant cette radicale méthode de la carotte, l’Etat manque-t-il une occasion de réduire les maladies sur le long terme ? A voir les résultats des programmes britanniques, on est tenté de vous faire une réponse de Normand. Depuis avril 2007, 500 femmes enceintes se sont engagées dans le plan « Give it up for baby ». En moyenne, 40 % d’entre elles ne retouchent pas une cigarette avant douze semaines, soit deux fois plus qu’avec les programmes classiques. Le taux ne tombe qu’à 35 % au moment de l’accouchement. Une petite victoire pour Andrew Radley, pour qui ce sont autant de grossesses en péril de moins. Mais une exception pour Theresa Marteau : « Les femmes enceintes, d’un milieu social défavorisé constituent un groupe social très particulier. Les incitations financières n’ont pas prouvé leur efficacité sur des problèmes plus larges. Il faut plus de recherches. » Une étude de l’organisation indépendante Cochrane Collaboration sur 17 programmes rémunérés d’arrêt du tabac montre que si les candidats tiennent sur le moyen terme, ils tendent à échouer dès que la récompense n’est plus offerte. Retirez la carotte, Bourriquet fait marche arrière.
Question oseille, « Give it up for baby » a coûté, en trois ans, 60 000 livres (72 000 euros) en fonds publics. Si Rebecca tient jusqu’au troisième mois suivant l’accouchement où court le programme, elle aura gagné 650 livres (780 euros). L’Etat britannique en économisera-t-il autant en dépenses de santé publiques ? « Impossible à calculer », répond Andrew Radley.
Le Plan national nutrition santé
La Proposition de loi sur enfants et effets de la publicité télévisuelle
L’étude sur une « fat tax » en France
Le dessin animé « Food Dudes »
Le programme britannique « Pounds for pounds »