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Des soumis et des hommes
mercredi, 26 janvier 2011 / Arnaud Gonzague

Désobéir dans l’entreprise, Les Désobéissants, Ed. Le passager clandestin, 64 p., 5 euros.

Il y a soixante-dix ans, on trouvait normal que les Françaises ne votent pas. Il y a trente ans, être homosexuel signifiait être malade. Il y a moins d’une décennie, le changement climatique était, à peu de chose près, un non-problème. Et dans quinze ans, dans trente ans, dans cinquante ans ? Que considérons-nous comme anodin ou normal aujourd’hui et qui paraîtra aberrant à nos petits-enfants ? Allez, un peu d’optimisme : parions que l’entreprise, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, sera l’objet d’une affliction étonnée de la part de nos descendants. Et – qui sait ? – peut-être que Désobéir dans l’entreprise paraîtra un texte évident de bon sens, comme aujourd’hui n’importe quel pamphlet anticolonialiste des années 1930.

Attention, on ne parle pas ici des « dérapages » du monde du travail, comme les troubles musculo-squelettiques, les ravages du stress, le harcèlement moral, sexuel ou les inégalités salariales entre hommes et femmes. Ces maux-là, tout le monde, peu ou prou, les condamne. On parle de ce qui nous crève les yeux, mais que nous ne voyons pas : que l’entreprise est une invention récente – moins de deux siècles – et pourtant digne, dans son fonctionnement, de l’Ancien régime.

Des airs de monarchie

Car en théorie – du moins, sous nos latitudes –, les hommes naissent libres et égaux. En théorie, le vote du smicard pèse dans l’urne d’un poids égal à celui du milliardaire. En théorie, tout le monde doit être traité à la même enseigne par les magistrats, les profs, les policiers ou les cardiologues. Et pourtant, nous acceptons tous sans sourciller de passer plus d’une trentaine d’heures par semaine dans une structure antidémocratique, inégalitaire, où cohabitent des donneurs d’ordres bien payés et des mal payés qui obéissent. Le tout, dirigé parfois par un patron qui tient sa fonction de son père ! Oui, oui, une monarchie…

L’ère du travail choisi

« Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux », écrivait La Boétie à propos de la servitude volontaire. Bien sûr, il y a des foules de métiers valorisants, intéressants (merci Terra eco !) et rémunérateurs (euh…). Bien sûr, il y a les syndicats, les prud’hommes et même la possibilité fugitive de préférer le chômage à un job navrant. Cela n’empêche pas que nous tolérons tous que certains métiers soient pénibles, dangereux, ou au minimum sans intérêt. C’est injuste, mais il faut bien gagner sa vie… Pourtant, les solutions existent, pertinemment listées dans Désobéir dans l’entreprise : le revenu minimum d’existence, la prise en compte dans l’économie de toutes les tâches non salariées (ménagères, associatives…), la banalisation du modèle d’entreprise coopérative… Tout cela pourrait nous permettre d’entrer enfin dans l’ère du travail choisi ! Jamais on n’y arrivera ? On en recause dans cinquante ans, avec vos petits-enfants. —