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Monaco l’emportera-t-il au paradis (fiscal) ?
jeudi, 20 janvier 2011 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

Le Rocher, son prince, ses Formule 1 et sa réputation de paradis fiscal. La Principauté vient d’investir 5 millions d’euros dans une grande campagne de blanchiment… d’image.

Branle-bas de combat à Monaco. En février 2009, Nicolas Sarkozy pointe du doigt la Principauté et l’assimile à un paradis fiscal. Deux mois plus tard, elle figure sur la liste grise de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). En réaction, des élus au Conseil national appellent à « lancer une vaste campagne internationale de communication, pour rappeler les réalités monégasques ».

Un trio d’experts – le journaliste et conseiller en communication politique Jean-Luc Mano, le politologue Stéphane Rozès et le publicitaire Régis Lefèbvre – est nommé par le gouvernement pour évaluer les dégâts. Résultat : du Grand Prix de F1 à Grace Kelly, le Rocher fait rêver et le prince Albert a la cote, mais le pays n’en est pas moins effectivement vu comme un paradis fiscal. Et comme un « ghetto de riches ». Bref, Monaco doit s’ouvrir au monde, une campagne s’impose. 5 millions d’euros sont débloqués.

La stratégie

La cible est claire : les « leaders économiques et d’opinion français et plus largement internationaux », explique au Figaro Michel Roger, ministre d’Etat de la Principauté. En novembre 2010, après un premier teasing à destination des résidents monégasques, un site Internet est lancé et dix visuels sont publiés – sur des doubles pages – dans la presse française : la Tribune, le Monde, le Figaro, le Point, l’Equipe…. Courant 2011, c’est la presse économique anglo-saxonne qui va bientôt être visée.

Signées TBWA Paris, les planches vantent « un rôle à part dans le monde » en termes d’environnement, d’aide au développement, de culture, de sport et… de coopération fiscale. Avec une approche cartographique couplée à un encadré détaillé, « on ne cherche pas de l’instantané, du clinquant ou des formules publicitaires, assure Guillaume Pannaud, directeur de l’agence TBWA, dans Monaco Hebdo. C’est une campagne qui parle à l’esprit. »

Démenti princier

Et sur le fond ? Ceux qui ont suivi le feuilleton de la pêche au thon rouge le savent : Monaco avait proposé l’interdiction du commerce international dudit poisson. Et même si cette option n’a pas été retenue, la protection du milieu marin fait bien partie de l’ADN monégasque. En témoigne notamment le centre d’océanographie de la Principauté. Difficile aussi de contester les 5% du budget national consacrés à la culture, quand la moyenne européenne tourne autour de 1%. Quant à l’augmentation de 25% par an de l’aide publique au développement, c’est un bon point mais on est encore loin de pays comme la Suède… Et lorsque le micro-Etat vante son cosmopolitisme et son économie florissante, il fait l’impasse sur ses conditions fiscales : aucun impôt sur le revenu, sur les plus-values ou sur le capital. Et les droits de succession sont, eux, minimes. Le tout ne s’appliquant toutefois pas aux Français.

Selon Jean Merckaert, coauteur du récent rapport du CCFD Terre Solidaire sur la question, « Monaco, comme l’Ile Maurice ou la Suisse, joue beaucoup sur le développement durable pour faire oublier qu’il est un paradis fiscal. » Pourtant, en novembre, le prince Albert martelait dans le Figaro : « J’aimerais que cesse, une fois pour toutes, cette affirmation sur mon pays. Monaco n’est pas un paradis fiscal. » Mensonge couronné ? Techniquement, Monaco n’est plus sur la liste grise de l’OCDE, près de dix ans après sa première apparition dans le viseur de l’organisme international. Comment l’Etat s’y est-il pris ? Simple : il fallait passer douze accords de coopération fiscale, Monaco en a signé 24.

Problème : aucun n’a été signé « avec l’Italie alors que c’est le sujet numéro 1 (les Italiens forment la communauté étrangère la plus importante du pays, avec 20% des habitants, ndlr), ni avec des pays en voie de développement », note Jean Merckaert, qui évoque la présence à Monte-Carlo de proches de dictateurs africains… Quant au contenu des textes paraphés, « ils ne vont pas très loin, il s’agit juste d’un échange d’informations à la demande. Si le fisc soupçonne quelqu’un, il envoie un formulaire et l’administration monégasque décide ou non de transmettre des renseignements. L’expérience montre que les redressements fiscaux à partir de ce type d’accord sont limités. On aurait préféré un échange automatique comme dans les 27  », analyse encore Jean Merckaert. Il reconnaît cependant que « cela peut faire peur à certains fraudeurs. C’est une brèche, et il faut s’en féliciter car il y a quelques années ils en refusaient l’idée même, mais elle est extrêmement étroite ».

Verdict

La lutte contre le blanchiment des capitaux, elle, doit encore accomplir des efforts. Le comité d’experts européen Moneyval a bien reconnu en 2009 quelques avancées mais il n’a pas donné un blanc-seing à la Principauté. Passé au crible de 12 critères (secret bancaire, réglementation sur les trusts, les prête-noms, les accords internationaux…) par le Tax Justice Network, l’Etat obtient un « score d’opacité » de 67 sur 100. « Ce n’est pas le pire mais cela reste un territoire opaque », conclut Jean Merckaert. Ce n’est pas Terra eco qui pourra le contredire : le gouvernement et l’agence de communication n’ont pas donné suite à nos demandes répétées d’interview.


L’avis de l’expert : 3/5

Isabelle Kurata, confondatrice de l’association Act Responsible : « La campagne est créative et audacieuse, presque prétentieuse. Le côté fiscal, c’est leur point noir, ils ne le cachent pas sous le tapis. S’ils font ça, c’est qu’ils pensent être prêts, car ils savent très bien qu’on va aller les chercher. Mais la moindre des choses aurait été de faire un blog qui permette aux gens de poser leurs questions. Là, c’est une plaquette. Cela manque d’ouverture. »