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La pilule
mercredi, 26 janvier 2011 / Caroline Boudet

Prévenir les grossesses, d’accord. Changer le sexe des poissons, gloups ! Ce sont pourtant deux des effets du comprimé contraceptif chouchou des Françaises.

Elle a sa place attitrée dans les sacs à main ou sur les tables de chevet. On l’adore, on la maudit, on panique quand on l’oublie. Certaines femmes programment même une alerte sur leur téléphone portable pour penser à elle. En une quarantaine d’années, la pilule contraceptive a investi la vie quotidienne des Françaises. Et pourtant mesdames, que savez-vous au juste de cette pilule que vous aurez prise, selon un calcul maison, plus de 7 500 fois entre vos 20 et vos 50 ans ? Pas grand-chose.

Autorisée en France depuis la loi Neuwirth de 1967, la pilule est constituée de deux types d’hormones de synthèse qui imitent celles produites par le corps féminin : des œstrogènes et des progestatifs. Pour assaisonner ce cocktail, ajoutez un noyau d’amidon de pomme de terre, de lactose monohydraté, d’acide stéarique - que l’on trouve aussi dans les bougies et les savons industriels – et d’alpha-tocophréol. Enrobez le tout d’hypromellose, de macrogol 6000 – utilisé ailleurs comme laxatif – et de propylèneglicol – le désormais célèbre antigel pour ailes d’avion qui sert aussi d’émulsifiant dans des sauces ou encore d’arôme dans des cosmétiques. Pas toxique, mais pas écologiquement appétissant, le pain quotidien de la Française. Résultat : une mauvaise réputation colle à la peau du comprimé chargé d’inhiber l’ovulation pour empêcher une éventuelle grossesse. Pour plus de détails sur l’alliance ovule-spermatozoïde, merci de relire vos cours de biologie du collège.

Vatican et mutations sexuelles

Depuis une dizaine d’années, les hormones synthétiques sont, en outre, pointées du doigt pour une autre raison. Un institut de recherche suisse spécialisé dans l’étude de l’eau, l’EAWAG, s’est penché en 2001 sur les rejets des stations d’épuration et leurs effets sur les truites arc-en-ciel des cours d’eau suisses et britanniques. Bilan : le taux d’œstrogènes de synthèse y est anormalement élevé, tout comme le nombre de mutations sexuelles. Certains mâles se mettent à produire des œufs ! Coupables désignées : les urines féminines et les hormones synthétiques rejetées dans l’eau, pas assez dégradées par le processus classique de traitement. Du pain bénit pour les peu fervents supporters de la pilule, comme le Vatican qui s’est empressé de reprendre l’information, en 2009, dénonçant ses « effets dévastateurs sur l’environnement ». Pourtant, les œstrogènes de synthèse sont partout dans notre vie quotidienne – grâce au fameux bisphénol A –, notamment dans les détergents industriels et un grand nombre de pesticides.

1 050 tonnes par an

Décriée, la pilule est aussi en perte de vitesse depuis quatre ans sur un marché qualifié de « peu dynamique » par Guillaume Paccoud, responsable marketing du leader français, Bayer Schering. En cause, selon lui, les plus jeunes qui la bouderaient. Mais le petit comprimé n’en reste pas moins un best-seller indémodable : 60% des femmes âgées de 20 à 44 ans l’utilisent, proportion qui monte à 80,8% chez les jeunes de 20 à 24 ans. Elle représente 90% des ventes dans l’Hexagone, loin devant les stérilets, patchs et autres implants. Et le marché français pèse lourd : 188,9 millions d’euros (1) de chiffre d’affaires en 2009. Sans surprise, la pilule n’est pas plus légère sur la balance carbone. Les informations précises sur l’empreinte de la petite plaquette manquent, mais on peut toujours se lancer dans un petit comparatif avec un dispositif intra-utérin de type stérilet (lui aussi à base d’hormones de synthèse), d’après des chiffres fournis par Bayer Schering. Dans la fabrication de ce dernier, l’approvisionnement – phase où sont rassemblées les différentes matières premières – demande autant d’énergie annuelle que les activités de 97 Européens, indique le laboratoire. C’est beaucoup, mais c’est sans aucun doute moins que sa « cousine » la pilule, bien sûr moins grosse mais vendue en plus grande quantité, utilisation quotidienne oblige. Il faut y ajouter le transport des 21,8 millions de boîtes – soit environ 1 050 tonnes de produit fini et emballé – vendues chaque année dans nos pharmacies et acheminées depuis des usines françaises, allemandes, irlandaises ou hongroises.

En fin de vie, que deviennent les pilules ? Quand elles ont la chance de ne pas finir dans les rivières, celles qui n’ont pas été utilisées sont, comme les autres médicaments, récupérées par les pharmaciens à travers le dispositif Cyclamed. L’année dernière, selon le Leem, organisme qui regroupe les entreprises du médicament, l’incinération de 13 000 tonnes de comprimés, gélules et pastilles a servi à chauffer et à éclairer des logements. Voilà de quoi faire avaler la pilule. —

(1) Chiffres de l’IMS Health, LMPSO, octobre 2010.


Une pilule « bio » encore timide

Fabriquée à base d’œstrogène naturel en tous points identique à l’hormone présente chez la femme, une pilule estampillée « bio » a été mise sur le marché en 2009. Avantage pour l’environnement de ce contraceptif : il serait plus neutre que ses cousines synthétiques, mais aussi « bénéfique sur le plan lipidique et cardiovasculaire », selon la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale. Mais à la mi-2010, le nouveau comprimé n’était utilisé que par 60 000 Françaises. Pas assez pour rééquilibrer les effets néfastes de ses consœurs dans nos cours d’eau. —

- « Contraception : que savent les Français ? », le baromètre 2005 de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé
- Eco-Santé, la base de données sur les marchés du médicament en France
- Les méthodes de contraception les plus écolos sur le site du Huffington Post