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Pourquoi la facture de votre steak est-elle si salée ?
mercredi, 26 janvier 2011 / Audrey Garric

Les étiquettes de la viande rouge s’envolent, tandis que les éleveurs voient leurs revenus s’écrouler : il y a comme un os dans la filière bovine. Décryptage.

Il fut un temps où le steak haché trônait fièrement au centre de nos assiettes, contentant les papilles des petits comme les porte-monnaies des grands. Cette époque est bel et bien révolue. Car si les enfants le plébiscitent toujours, depuis 1990, le prix de la viande bovine est passé dans le rouge, enregistrant une hausse de 50 %. A raison de 17 euros le kilo en moyenne, l’entrecôte reste aujourd’hui en travers de la gorge.

La raison est à chercher sur les marchés, dans l’écart entre l’offre et la demande. « Plus les populations deviennent riches et urbaines, notamment dans les pays émergents, plus elles consomment de la viande rouge au lieu des viandes blanches. Les prix à la consommation sont donc tirés par la demande », analyse Hervé Guyomard, directeur scientifique à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra).

Les intermédiaires se goinfrent

On imagine alors les éleveurs français s’engraisser plus vite que leurs bœufs. Pas du tout ! En réalité, leurs revenus sont en chute libre, avec une moyenne de 10 000 euros sur l’année, soit les plus faibles du secteur agricole. « Les producteurs ont investi pour se mettre aux normes ces dernières années. Or, le prix du kilo de carcasse n’a pas bougé depuis 1997 : il est toujours payé 3 euros », déplore Thierry Rapin, directeur de la Fédération nationale bovine, le syndicat du secteur affilié à la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Et ce, alors que ces dix dernières années, le prix du même kilo de carcasse est passé de 5,37 euros à 6,64 euros en grande surface ! « Les éleveurs sont les seuls à ne pas avoir pu répercuter dans leur prix de vente l’augmentation de leur coût de production, renchérit un rapport sur la filière, présenté le 6 janvier par l’économiste Philippe Chalmin. Et il est évident que le niveau de prix auxquels ils vendent leur kilo de carcasse, même en tenant compte des aides européennes, ne permet pas de couvrir l’ensemble de leurs charges. » Mais pourquoi donc n’augmentent-ils pas leurs prix de vente ? « Car ils sont confrontés, via les importations, à une concurrence accrue de pays plus compétitifs comme le Brésil ou l’Argentine », répond Hervé Guyomard.

Alors, comment expliquer une telle fourchette entre le prix à la consommation et celui à la production ? Ce sont en réalité les intermédiaires qui se goinfrent. « La construction des prix alimentaires est opaque, surtout dans le secteur de la viande bovine, plus complexe que d’autres filières, regrette Olivier Andrault, coauteur d’une étude de l’UFC-Que Choisir sur les prix de la viande. Lorsque les coûts de production grimpent, les étiquettes en grande surface suivent. Mais s’ils baissent, les prix au détail progressent encore légèrement. Dans ce cas, les intermédiaires – abatteurs, transformateurs et grande distribution – augmentent leurs marges. »

Développer les circuits courts

Avec le temps, la bidoche risque même de devenir encore plus dure à avaler, portée par l’augmentation du prix des matières premières. Cet été, les éleveurs ont ainsi subi de plein fouet l’envolée de 25 % des cours du blé, du colza ou du maïs, nécessaires à l’alimentation du bétail. Ce poste de dépenses représentant 70% de leurs charges, la tension sur les marchés les a mis à genoux. Pour arrêter l’hémorragie, les agriculteurs ont dû faire pression sur le groupe Bigard, leader du secteur de l’abattage. En novembre 2010, un accord a été trouvé : une hausse des prix de 2 à 5 centimes d’euros le kilo, bien inférieure toutefois aux 60 centimes demandés.

« La seule solution pour résoudre la crise est de faire évoluer les rapports de force au sein de la filière, préconise Thierry Rapin. Cela passe par la contractualisation, qui permettrait de fixer à l’avance les prix d’achat de la viande par l’industrie, et par les regroupements de producteurs. » Autre solution : les circuits courts, c’est-à-dire la vente directe aux clients ou aux bouchers de proximité, qui ne représentent pour l’instant que 1% des ventes. « Mais ces circuits ne permettent pas de limiter les coûts fixes, d’abattage, de transport ou de vente, par des économies d’échelle, relativise Hervé Guyomard. Ils rémunèrent mieux les éleveurs, mais n’empêcheront pas le prix de la viande de continuer d’augmenter. » Le consommateur n’a pas fini de se saigner pour sa viande rouge. —


Une nouvelle race de bouchers

Alléger le poids carbone de la viande : c’est l’objectif que s’est donné une petite équipe de bouchers, ceux que l’on appelle les « neo-butchers ». Au Meat Hook, l’établissement new-yorkais à la pointe du mouvement, ils portent la chemise à carreaux, la moustache et manient le hachoir sans complexe. Ces chevaliers de la bonne chère mènent une croisade contre l’hégémonie de la viande industrielle. Dans un pays où les bêtes sont engraissées à la chaîne, à grands renforts de protéines, d’hormones de croissance et d’antibiotiques, ces « nouveaux bouchers » se fournissent exclusivement en « viande à l’herbe », comprenez chez des éleveurs dont les vaches gambadent et se nourrissent dans des prairies. Au final, la viande est moins nocive pour l’environnement mais aussi pour la santé de l’homme : elle est moins grasse et plus riche en oméga 3. Seul os : les vaches arrivant à maturité plus tard, le steak voit son prix doubler.