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Au FN, la nature fait partie de l’héritage
dimanche, 16 janvier 2011 / Erwan Lecoeur /

Sociologue, spécialiste de l’extrême droite et de l’écologie politique

Comment le Front national parle-t-il d’écologie ? L’arrivée à sa tête d’une héritière quadragénaire que les médias présentent comme plus « moderne » y change-t-il quelque chose ? Assurément non, selon le sociologue Erwan Lecœur.

Elue confortablement et sans aucune surprise à la tête du parti lors du congrès de Tours ces 15 et 16 janvier, Marine Le Pen n’a jamais fait montre d’une sensibilité particulière à l’égard des questions d’environnement. Comme d’ailleurs son père et tous les cadres du parti avant elle. Entre le FN et l’écologie, le fossé restera béant et il n’est pas de « modernité » nouvelle à attendre de ce côté. Si l’héritage est considéré comme naturel, la nature y est considérée également comme un héritage, à assurer et préserver sans trop bouleverser l’ordre qu’elle instaure.

Loin du développement durable, ou des alertes sur la perte de biodiversité, loin des idées de changement de comportement des humains, on peut gager qu’on entendra encore les appels de la fille du chef à défendre les automobilistes et les buralistes contre le « diktat » de la pensée unique (y compris écologiste) et les taxes qui assomment les Français. Fondamentalement le FN s’est toujours posé d’abord en protecteur des « libertés » (y compris de polluer) et du droit d’user des ressources nationales, pour la grandeur du pays et le bien-être de ses habitants.

Conserver, sans rien changer

La Nature a parfois pris un place importante dans certains cercles intellectuels restreints, à la droite de la droite. Néo-païens amoureux de la Terre des origines, contempteurs des peuples enracinés et des « lois de la nature » pour guider l’organisation sociale… Mais hormis la place de la famille dans la société (et le parti, diront certains), ces appels à la Nature aux accents parfois « new age » n’ont pas été repris par le Front national, pour plusieurs raisons.

Si l’on entend peu les Le Pen parler d’écologie, c’est d’abord que l’électorat qu’ils visent n’y semble pas particulièrement sensible, mais aussi qu’il s’agit de mettre l’accent sur d’autres dangers plus immédiats qui menacent le pays, dans la vision frontiste : insécurité, immigration et chômage ; le fameux triptyque qui a fait la fortune de la verve lepéniste depuis le début des années 1980.

On retrouve ces prémisses dans la partie « environnement » du programme présidentiel de 2007 (comme dans tous les précédents), avec ses étrangetés, ses marottes (sécurité, territoire national, patrimoine) et ses incohérences. Au FN, l’environnement est d’abord une question de « patrimoine », de cadre de vie et de « paysages français » à préserver. Posant en principe le « respect de la nature et de ses lois », dans la plus pure tradition de l’extrême droite, protéger les paysages consiste à œuvrer pour « la défense des intérêts de la France, de sa pérennité et de son identité ». Mélange de protection des usagers et de mesures de conservation, le programme environnement du FN pose surtout le refus de tout « impôt écologique » et la lutte contre « l’autophobie ». Et s’il est acquis qu’il serait prudent d’éviter les pollutions, d’encourager l’isolation des bâtiments, ou de développer certains modes de transport (ferroutage, fluvial, métros), sur l’essentiel, rien ne bouge : le nucléaire doit se développer, Superphénix redémarrer, les autoroutes proliférer et la recherche développer les OGM… Fermez le ban, sans oublier un plaidoyer pour la défense des animaux et « le respect de la vie animale », dont un « Programme de lutte contre les abandons d’animaux de compagnie » !

Un parti du XXe siècle

Au fond, pour le parti de Jean-Marie Le Pen, l’écologie est d’abord une façon d’envisager la préservation du territoire national. Ce qui permet, au passage, d’accuser les écologistes de vouloir imposer une « gouvernance écologique mondiale », contre la liberté des nations. Idem pour le développement durable, auquel le FN reproche de faire trop de « politique », en ajoutant aux « préoccupations strictement environnementales » une approche sociale…

L’opportunisme lepéniste n’a pas pris au sérieux l’écologie, lui préférant la défense des « petits » contre les taxes et impôts, ou celle des animaux contre les mauvais traitements. Vieilles recettes, qu’avait déjà expérimenté le poujadisme, avec un certain Jean-Marie Le Pen dans ses rangs. Une telle absence de prise en compte de l’enjeu écologique n’est pas seulement due à la volonté des dirigeants. Il s’agit aussi d’opportunité politique ; difficile, de prendre en compte les enjeux liés à la dégradation de la planète, lorsqu’on se veut porteur d’un discours simple, axé avant tout sur l’invasion et la décadence morale.

Héritier d’une longue tradition de populisme aux accents populaires et anti-système, le FN est fondamentalement un parti conçu à partir des enjeux du XXe siècle et le restera. Sur l’environnement, comme sur la plupart des autres questions, la nouvelle présidente ne changera rien, sur le fond : chez les Le Pen, avec l’héritière Marine comme avec Jean-Marie, on regarde toujours l’avenir avec les yeux du passé.


Erwan Lecœur est auteur du Dictionnaire de l’extrême droite (Larousse, 2007). À paraître : Des écologistes en politique (Lignes de repères, février 2011).