https://www.terraeco.net/spip.php?article15116
Sophie, surendettée : « Je ne faisais pas du tout attention »
lundi, 17 janvier 2011 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Entrée en vigueur le 1er novembre, la loi Lagarde vise à soulager les surendettés. Qui sont-ils ? Comment en sont-ils arrivés là ? Rencontre avec une mère de famille parisienne qui doit rembourser 630 euros par mois.

Sophie (1) a 42 ans, le ton léger et la confidence facile. En octobre 2010, elle a déposé un dossier de surendettement à la Banque de France. Trop de crédits. Pour un revenu trop faible. L’équation est sans appel. Sophie et son mari gagnent peu. 1 000 euros pour elle, salariée à mi-temps dans une association. 1 200 euros pour lui, conducteur de machine dans une imprimerie. Deux filles, de 22 et 9 ans. Et le loyer du trois-pièces dans le nord de Paris à régler chaque mois. Serrés par les cordons de leur bourse, ils risquent, il y a sept ans, un premier doigt dans l’engrenage. C’était pour acheter une voiture. Les rouages ont avalé une main, puis l’autre et les cartes se sont mises à pulluler dans le portefeuille de Sophie.

Des cartes pour payer courses, vêtements ou jouets de la cadette. « Quand vous le faites une fois, vous y prenez goût. On était toujours à découvert. On prenait de nouveaux crédits pour le combler », confie simplement Sophie. Dans sa poche, un grand porte-monnaie virtuel prend alors ses aises. Elle y puise sans compter. « On reçoit tellement de publicités, de coups de fil. Même si vous avez déjà un crédit, ils s’en fichent. Moi je faisais ça par téléphone. Je disais : “J’ai besoin de telle somme. Pouvez-vous le virer sur mon compte ?” On me ne me demandait rien. On me donnait juste le montant des mensualités à rembourser. Et sincèrement, je ne regardais pas vraiment les taux d’intérêt. »

Serrer une ceinture inconnue jusque-là

La machine si bien huilée se grippe. Sophie peine à rembourser et tente une première fois de rebondir. « J’ai trouvé une entreprise qui rachète les crédits sur Internet. Je me retrouvais avec une seule mensualité de 600 euros. C’était moins que la somme de tous mes remboursements mais je devais rembourser sur douze ans. J’ai vu qu’on y arriverait pas. » Sur le conseil de sa patronne, elle se tourne vers la Banque de France. Le couperet tombe. Elle devra rembourser 630 euros chaque mois mais sur quatre ans seulement. « Ça m’a paru raisonnable ».

Sophie va désormais devoir apprendre à serrer une ceinture dont elle ignorait la présence. « Je ne faisais pas du tout attention », avoue-t-elle. La cure s’annonce ardue. « J’ai fait les comptes. Quand on aura payé nos mensualités, l’assurance de la voiture, EDF, les factures du téléphone fixe et des portables et la cantine de la petite, il va nous rester 700 euros par mois. On n’a pas le choix, on se privera pendant quatre ans. » Pour les vacances, pas de problème. Sophie n’en a pas le goût. Pour la nourriture, elle va à l’épicerie sociale. Reste les petits plaisirs… Sophie promet qu’elle va arrêter de s’acheter trop de vêtements – « Je suis dépensière de ce côté-là » – ou de craquer pour « des bêtises ». Déjà à Noël, sa cadette n’a trouvé qu’un seul cadeau au pied du sapin contre 7 ou 8 les années passées. Mais pour son petit-fils né il y a un mois, elle a craqué.

« Vous demandez, on vous donne »

Dans cinq ans, Sophie ne sera plus fichée à la Banque de France. Replongera-t-elle alors ? « Sincèrement, non , je ne crois pas. Je ne voudrais pas me remettre dans la même situation. En même temps, j’avais déjà dit ça la première fois, quand j’avais fait le rachat de crédit. Et je suis retombée dedans… », ironise-t-elle. « C’est de l’argent facile. Vous demandez. On vous donne. Quand vous aimez l’argent, vous ne pensez pas au reste. Il faut être honnête », dit-elle. « Si mes crédits n’avaient pas été acceptés à chaque fois, j’en serais pas là. Je ne dis pas que je n’ai pas de responsabilités. Je dis que la faute est partagée. »

(1) A sa demande, le prénom a été changé.


Le foyer de Sophie, mariée, deux enfants

- Revenus : 2 200 euros net/mois
- Loyer HLM : 430 euros
- Remboursement des crédits : 630 euros/mois pendant quatre ans