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Climat : pourquoi l’humanité fait l’autruche
vendredi, 7 janvier 2011 / Rodrigue Coutouly /

Principal de collège, agrégé d’histoire-géographie, j’ai été, dans une autre vie, technicien forestier à l’Office national des forêts et j’ai travaillé en Afrique sahélienne.

Les hommes ont beau percevoir les dangers environnementaux qui les menacent, leurs modes de vie ne changent pas. Pour comprendre, faisons un tour dans nos cerveaux…

Dans Le Monde daté du 19 novembre, une enquête sur le climato-scepticisme révèle des résultats intéressants sur la façon dont nous percevons les dangers qui nous menacent. Pourquoi tant de scepticisme devant le réchauffement climatique et autres catastrophes annoncées ? Les résultats les plus intéressants sont les suivants :

1/ Les diplômés ne sont pas moins climato-sceptiques que les autres : à cet égard, ce sont nos représentations sur le monde, et non notre niveau culturel, qui sont déterminants.

2/ Plus on est âgé, plus on est climato-sceptique. Il faut donc s’interroger sur l’importance des représentations du monde datant des Trente Glorieuses chez les plus âgés. Par contre, les plus jeunes vivent au quotidien les dégâts de nos choix de société.

3/ Si les gens de droite sont davantage climato-sceptiques que les gens de gauche, l’écart reste faible. Ce qui gêne les gens de droite dans l’écologie, c’est la remise en cause de leur liberté, la peur des contraintes que pourraient entraîner les politiques écologiques. Mais les convictions de gauche sont souvent en corrélation avec la croyance en un progrès continu, difficilement conciliable avec l’écologie.

Essayons d’aller plus loin, de comprendre pourquoi, malgré des signes de plus en plus évidents, un grand nombre de nos contemporains, semble refuser de croire à la gravité du problème. Une autre enquête, à la fin de la première décennie du siècle, révèle qu’une dizaine de millions d’Européens, soit un sur cinquante, a changé radicalement de vie, cherchant à consommer moins, à limiter radicalement son empreinte écologique, ne prenant plus l’avion, roulant à vélo, etc.

Mais les autres – la très grande majorité –, alors que l’évidence de la crise écologique planétaire s’impose de plus en plus, pourquoi ne change-t-elle pas ? Répondre à cette question est crucial, car c’est la majorité qu’il faut convaincre. L’image la plus parlante est celle de l’autruche qui, devant le danger, met la tête dans le sable et attend.

Mais l’idée d’une population majoritairement « idiote » pour ne pas voir « l’évidence » ne résiste pas à l’analyse. D’abord, parce qu’une part croissante de la population, souvent cultivée et intéressée par l’évolution sociétale, a parfaitement compris les dangers qui nous menacent. Ensuite, parce que la grande majorité des personnes ne peut admettre et comprendre ce qui se passe pour des raisons que nous allons expliquer plus loin.

Trouver des solutions qui concernent tout le monde nécessite d’abord de comprendre ce qui se passe dans la tête des gens, des différents acteurs qui prennent tout les jours des décisions plus ou moins « écologiques », qu’il s’agisse des simples citoyens ou consommateurs, des chefs d’entreprises, des élites intellectuelles ou des hommes politiques.

Il faut dépasser les discours simplistes et catastrophistes sur l’Apocalypse qui nous menace, qui permettrait de séparer une minorité « éclairée » qui aurait compris la vérité d’une majorité subissant la dégradation de la planète et se précipitant, comme les moutons de Panurge, vers l’abîme. Ce dépassement est une nécessité pour que l’humanité trouve des solutions acceptables par tous, mises en pratique par une majorité toujours plus importante.

Examinons maintenant le point de vue sur la crise planétaire qui nous menace. Prenons d’abord le cas d’un homme d’une soixantaine d’années, né après la Seconde Guerre mondiale, vivant dans un pays développé, et disposant de revenus corrects ou confortables. Souvent, il ne pourra comprendre ce qui est en train de se passer car il a connu les décennies de développement fulgurant qui ont suivi le second conflit mondial. Les ralentissements économiques qui ont eu lieu après cette période n’ont guère ébranlé son niveau de vie, et des périodes d’embellie (la révolution numérique de la fin du XXe siècle) ont renforcé sa croyance en des cycles avec des hauts et des bas. La victoire du capitalisme sur le communisme a accru sa confiance dans un système économique et politique qui lui a apporté prospérité et santé. La notion de progrès de l’humanité est fortement ancrée dans sa mentalité. On comprend mieux alors son incrédulité devant la crise planétaire dont on lui raconte la menace. Les ours polaires qui nagent dans l’eau glacé lui semblent bien lointains et il ne se voit pas changer un mode de vie qui lui a toujours réussi. Il faut relier cette analyse au fait, que, en ce début de siècle, les livres sur le problème climatique sont concurrencés par autant de livres exprimant leur scepticisme devant ces phénomènes. Notre homme est incrédule devant le changement climatique et la crise planétaire. Les historiens ont bien compris et décrits depuis longtemps ce qu’ils appellent « le temps long » par opposition au « temps court » des événements : les mentalités humaines évoluent beaucoup plus lentement que le cours des faits. Il est très difficile de convaincre celui qui, toute sa vie, a connu radicalement autre chose.

Ce décalage entre ce qui est en train de se passer et les résistances incrédules de la majorité de la population concerne aussi les hommes politiques qui nous gouvernent car ils sont issus de cette génération et ont le même vécu. Pour faire une comparaison, nous sommes un peu dans la situation de l’humanité au début de l’année 1914. Une minorité de pacifistes luttait lucidement contre une guerre qu’ils pensaient, à raison, horrible, alors que la majorité des populations européennes et des élites ne pouvait imaginer ce qui allait se passer dans les tranchées, tout simplement parce que les guerres qu’avait connu la génération précédente étaient moins meurtrières, plus courtes, et que la fin du XIXe siècle avait donné lieu à peu de conflits en Europe.

Cette posture de l’homme occidental d’âge mûr se retrouve, sans doute, dans celle des jeunes élites des pays émergents, pays qui connaissent depuis la fin du XXe siècle, un développement fulgurant. Cette fulgurance empêchant de voir les dégâts que crée cette densification des espaces et cette utilisation particulièrement rapide et vorace des ressources.

Si on s’intéresse maintenant à d’autres catégories de personnes, il faut d’abord parler des deux tiers de l’humanité constitués par les personnes en situation de grande pauvreté, y compris dans la société française. Quelque soit leur situation culturelle, économique et sociale, ces populations engagées dans une logique de survie ne peuvent même pas se préoccuper d’environnement. En effet, l’exploitation de celui-ci est souvent vitale pour subvenir à leurs besoins.

Si l’on s’intéresse maintenant aux élites, on peux distinguer différents métiers caractéristiques. Les chefs d’entreprise, à la recherche de nouveaux marchés et produits, obligés d’anticiper sur l’évolution de leur société, sont souvent sensibles à la question environnementale.

Par contre, les économistes, les professions intellectuelles supérieures (journalistes, cadres supérieurs) sont imprégnés, par leurs études et leurs métiers, par les idées libérales qui développent une vision du monde où la concurrence pour l’accès aux ressources est reconnue mais sans que soient envisagées les limites de ces ressources. La conception du monde sur l’histoire récente discrédite le discours environnemental. Ce manque de crédibilité est accentué par la vision fréquente d’une écologie interventionniste, vécue comme un nouveau socialisme.

Cette idée en rencontre une autre : celle d’une écologie qui serait un retour en arrière – « à la bougie » – inacceptable pour celui qui croit au progrès. Or, cette croyance dans le progrès n’est pas une idée monopolisée par les libéraux, elle est familière aux gens de gauche, qui souvent réfutent une « décroissance » incompatible avec l’espérance d’une élévation du niveau de vie.

On l’a bien compris : c’est l’ensemble de nos mentalités qui résiste devant l’idée de crise planétaire. Pourtant, cette idée est de plus en plus admise mains ne suscite que peu de changements profonds des pratiques chez ceux, de plus en plus nombreux, qui sont inquiets devant le phénomène et particulièrement devant le changement climatique. Trois attitudes peuvent se distinguer alors :

1/ le refus de se « prendre la tête », de se gâcher la vie pour cela, « vivons pendant qu’il est encore temps » et on verra ensuite.

2/ la prise de conscience s’accompagne de gestes simples, au niveau de l’individu (prendre des douches et non des bains, économiser l’électricité, faire le tri des déchets, etc.). Cette attitude se développe mais se heurte souvent aux envies consuméristes. Il n’est pas facile de renoncer à son confort. Personnellement, j’ai du mal à résister à ma passion du voyage et des terres lointaines, dont je sais pourtant qu’elle aggrave fortement mon empreinte écologique.

3/ enfin, même convaincu, le citoyen n’a pas toujours les moyens de changer de vie. Prenons l’exemple d’un cadre moyen qui a acheté une maison dans une lointaine banlieue, parce qu’il n’avait pas les moyens d’en acheter une au centre-ville. Le voilà obligé de prendre sa voiture tous les jours pour aller y travailler, avec un budget serré, sans transports en commun fiables. Ses convictions ne résistent pas à sa réalité financière : il a besoin lui aussi de « produire du CO2 » avec sa voiture pour survivre professionnellement.

On le voit, la très grande majorité de l’humanité a des raisons légitimes de ne pas changer d’attitude. Par conséquent, lutter contre la crise planétaire nécessite aussi de comprendre les motivations des différents acteurs, de trouver des solutions qui prennent en compte ces contraintes qui pèsent sur l’évolution des comportements.

Pour conclure, nous voudrions revenir sur le comportement des hommes politiques. Nous avons montré que le système de pensée, qui était majoritairement le leur, était celui d’un univers mental qui a du mal à accepter la réalité de cette crise planétaire. Pourtant, en ce début du XXIe siècle, le désarroi de beaucoup d’entre eux, la difficulté à trouver des réponses à un monde de plus en plus complexe, doit les amener à se poser des questions sur leur actes politiques.