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Le « cadeau de Noël » de Sarkozy à Gbagbo
lundi, 20 décembre 2010 / Thierry Téné /

Expert africain de la croissance verte et de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Directeur de A2D Conseil.

En lançant un ultimatum au leader ivoirien, la France ne prend-elle pas encore le risque de s’embourber dans un pays au bord de la guerre civile ?

50 après les indépendances, les autorités françaises ont-elles vraiment compris que l’Afrique francophone est en pleine mutation ? Observent-elles le sentiment anti-français très présent dans ces pays notamment auprès des jeunes générations ? Les évènements de 2004 en Côte-d’Ivoire ont été un révélateur de cette situation. Des milliers de Français ont dû quitter le pays dans une situation très tendue après que l’armée française eut causé la mort de jeunes ivoiriens. Le Président Laurent Gbagbo s’est ainsi installé dans le rôle du résistant à l’ex-colonisateur avec un succès garanti dans une Afrique de plus en plus hostile à Paris. Cette posture permet également de masquer ses abus. Ainsi, après l’interdiction provisoire des journaux « pro-Ouattara » et surtout une répression sanglante (près de 50 morts selon l’ONU) des manifestations pacifiques de jeudi à l’appel du second Président Ouattara, le clan Gbagbo est entrain de transformer une affaire ivoiro-ivoirienne en conflit franco-ivoirien.

Nicolas Sarkozy a rendu un immense service à Laurent Gbagbo en appelant ce dernier vendredi à quitter le pouvoir « avant la fin de la semaine » . En réponse, l’intéressé a demandé à l’ONUCI et à la force Licorne de quitter son pays à l’échéance de leur mandat le 20 décembre. La réaction la plus virulente est venue de son Ministre de la jeunesse, de la formation professionnelle et de l’emploi. Charles Blé Goudé, auto-proclamé « Général de la jeunesse », a effectué ce week-end le tour des quartiers d’Abidjan où il a mobilisé des milliers de jeunes patriotes ivoiriens avec une rhétorique anti-française bien rodée : « La Côte-d’Ivoire n’est pas une sous-préfecture française et le Président Gbagbo n’est pas un sous-préfet de Sarkozy ». Au-delà de ses diatribes qui ont été efficaces en 2004, lorsque les patriotes avaient servi de boucliers humains face à l’armée française, il y a plus inquiétant. Le leader de la jeunesse pro-Gbagbo prépare ses troupes au pire : « Ils n’ont qu’à faire l’erreur de toucher un seul cheveu de Laurent Gbagbo. Nous n’irons avec aucune arme, mais ils devront tuer beaucoup (de personnes, ndr) ». A bon entendeur…

Les ingrédients d’une guerre civile sont réunis en Côte-d’Ivoire et au-delà des frontières. Des rumeurs font état de miliciens qui seraient déjà opérationnels dans Abidjan. Suite à l’échec de la marche vers la Primature et la RTI (Radio et Télévision Ivoiriennes), le camp Ouattara étudie désormais la possibilité d’une option militaire. La tension s’est également propagée à Paris où la police a compté deux blessés, dont un à l’arme blanche, lors d’altercation entre les partisans de chaque camp. Pour la préservation des intérêts de la France en Côte d’Ivoire et surtout la garantie de la sécurité des milliers de Français résidents dans ce pays, les autorités françaises - et en premier lieu le Président de la République - sont appelées à plus de discrétion. Paradoxalement, toute déclaration de Paris contribue à légitimer la stratégie de Laurent Gbagbo et se transforme en boulet pour Ouattara. D’autres pays comme les Etats-Unis, Israël, la Chine et la Russie possèdent également de nombreux intérêts économiques en Côte-d’Ivoire. Un enlisement français ferait le bonheur de ces puissances moins dissertes, même si officiellement toutes sont sur la même longueur d’onde au sein de l’ONU. Qu’un civil ivoirien tombe sous les balles de l’armée française et le conflit change de nature au désavantage de l’ex-puissance coloniale. Après le fameux discours de Dakar, le récent ultimatum du Président Sarkozy à Laurent Gbagbo était une grave erreur.