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Exigeons un moratoire sur les gaz de schiste
vendredi, 10 décembre 2010 / Eric Delhaye /

Président délégué de CAP21.

Les gaz non conventionnels ne sont pas le nouvel eldorado énergétique et de nombreuses voix s’élèvent sur leurs conditions d’extraction aux Etats-Unis. Avant d’importer cette aventure industrielle, l’Europe doit agir.

La transition énergétique qui substitue les énergies renouvelables aux combustibles fossiles est en marche. Le gaz naturel occupera une place importante dans les décennies à venir pour accompagner cette transition. La consommation mondiale de gaz devrait ainsi passer de 3 téramètres cubes (3 millions de millions de m3) en 2007 à 4,4 téramètres cubes en 2030. Alors que les réserves de gaz naturel conventionnel décroissent (elles sont estimées à soixante ans de consommation), un certain nombre de pays se tournent vers l’extraction de gaz non conventionnels nichés dans le charbon, les schistes et des réservoirs particulièrement difficiles à exploiter… mais permettant de réévaluer les réserves mondiales de gaz de 60 à 250 %.

Pour beaucoup, c’est la promesse d’un nouvel eldorado économique, d’autant plus que les gisements sont disséminés dans le monde. De quoi s’affranchir de contextes géopolitiques parfois instables.

Le gaz de schiste représente aujourd’hui la seconde source énergétique des Etats-Unis, permettant de chauffer plus de la moitié des foyers. Les appétits s’aiguisent, les acteurs industriels de l’énergie, notamment les firmes pétrolières s’organisent. Les projets d’exploration ou d’exploitation se multiplient au Canada, en Australie, en Chine, en Argentine, en Asie centrale mais aussi en Europe (Hongrie, Pologne, Allemagne, France…).

Mais à quel prix ? On ne compte plus les voix qui s’élèvent aux Etats-Unis pour s’inquiéter des conséquences écologiques désastreuses de l’exploitation de ces gaz. En cause notamment la technique de fracturation hydraulique qui mobilise des tonnes de produits chimiques pour favoriser la fracturation artificielle de la roche-mère et menace les ressources en eau.

Selon le département de la Protection de l’environnement en Pennsylvanie, c’est un véritable cocktail chimique qui est utilisé par l’industrie avec des composés souvent hautement cancérogènes, reprotoxiques et toxiques pour les milieux aquatiques. Ont été identifiés, entre autres, le benzène et ses dérivés, les éthers de glycol, des acides, le formaldéhyde, le toluène, le xylène, le naphtalène…

Une partie seulement de l’eau utilisée est récupérée (50% à 90% selon les sources) dans de vastes bassins de récupération et nécessite d’être traitée, l’autre partie rejoint les aquifères.

D’autres nuisances sont aussi liées à l’exploitation. Le torchage génère des émissions toxiques dans l’atmosphère (CO2, NOx, particules fines, etc.). D’une faille à l’autre, les puits et les conduites de gaz mitent le paysage.

Des villes comme New York ou Pittsburgh en Pennsylvanie votent pour l’instauration de moratoires afin de protéger leurs ressources en eau. Le 18 mars dernier, l’Agence gouvernementale de protection de l’environnement a annoncé le lancement d’une étude approfondie sur les impacts environnementaux et sanitaires de l’exploitation gazière qui durera près de deux ans. Ce sont près de 2 millions de dollars (1,5 million d’euros) qui sont consacrés en 2010 à cette expertise.

Les termes du débat sont triples : économique, écologique et démocratique (gouvernance). Si on laisse faire les acteurs économiques sans régulation, cette ressource sera exploitée à moindre coût, au détriment de l’environnement et de la santé publique. Le développement des énergies renouvelables et la recherche d’une plus grande efficacité énergétique s’en trouveront fortement pénalisés. Le vrai prix d’une énergie est celui de sa production régulée par rapport à des contraintes environnementales, sanitaires et d’acceptation sociale.

Il faut éviter à tout prix que cette aventure industrielle risquée ne s’exporte en Europe dans les conditions actuelles. C’est la raison pour laquelle il faut plaider pour l’instauration d’un moratoire européen dans l’attente d’une expertise sur les impacts des technologies actuelles d’extraction et de la définition d’un cadre juridique offrant toutes les garanties d’information et de protection des populations et de l’environnement.