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Non, le Grenelle n’est pas anti-économique !
vendredi, 10 décembre 2010 / Emmanuel Delannoy /

Directeur de l’institut Inspire (Initiative pour la Promotion d’une Industrie Réconciliée avec l’Ecologie et la société) et secrétaire général de la Ligue ROC

C’est une analyse économique très sévère du Grenelle de l’environnement que vient de livrer la direction générale du Trésor. Le message envoyé est de ceux qu’il faut éviter. Voici pourquoi.

Des économistes du Trésor viennent de publier un document dans lequel ils soulignent les impacts négatifs du Grenelle de l’environnement sur l’emploi et la croissance. Cela me laisse consterné et indigné.

Consterné car, si on voulait tuer le peu de crédibilité qu’il reste au Grenelle, et effacer les rares avancées concrètes qu’il aura permises, on ne s’y prendrait pas autrement. Certes, le document est légèrement plus « nuancé » que les gros titres qu’il aura suscités. Nos économistes reconnaissent, par exemple, qu’ils n’ont pu intégrer dans leurs calculs l’impact du changement climatique, ou celui lié à la stimulation de l’innovation. On peut aussi discuter des hypothèses retenues pour les prix du pétrole et de l’énergie.

Mais le message que retiendront « les gens », c’est que le Grenelle coûtera un demi-point de PIB et 150 000 emplois. Donc qu’il va falloir choisir entre le pouvoir d’achat et la sauvegarde de la planète. C’est sûr, quand vous êtes au chômage ou que vous connaissez des fins de mois difficiles, le choix est vite fait. On revient là au message bien connu : « l’environnement, c’est un luxe de riches qu’on ne peut pas se permettre en temps de crise ».

Indigné, car une fois de plus, après un signal clair venu d’en haut (« L’environnement, ça commence à bien faire »), on se retrouve trahi et abandonné. Lorsque qu’on a participé ou soutenu le Grenelle au nom de l’intérêt général, quitte à mettre en sourdine nos orientations politiques personnelles, c’est un peu comme si ce travail colossal ne valait finalement plus rien.

Certes, on ne pouvait attendre de technocrates sans vision du Trésor qu’ils prônent un changement de paradigme économique. Ce n’est ni dans leur compétences, ni pour cela qu’ils sont payés. Mais ce qui m’inquiète le plus – et c’est ce qui fonde la différence entre l’économie et l’économisme – c’est l’exploitation politique qui sera faite de ce rapport par certains, toujours prêts à surfer sur la crête facile du populisme et de la « république sondagière ».

La seule chose positive qui ressort de tout cela, c’est que ce rapport met aussi en évidence une carence majeure : nous n’avons pas aujourd’hui de théorie macroéconomique capable d’intégrer les limites de la biosphère dans ses modèles de prévision. Les projections économiques issues d’un modèle business as usual peuvent se révéler plus optimistes, mais en faisant abstraction des limites physiques de la planète, elles se trompent. Pourtant, comme les rapports Stern et Sukhdev l’ont mis en évidence, ne pas tenir compte du changement climatique ni de l’érosion de la biodiversité dans nos scénarios « coûterait », en fin de compte, bien plus cher en termes d’emplois et de bien-être que les efforts qu’il faudrait consentir pour en limiter l’ampleur.

Le pilotage « au PIB » – version technocratique du pilotage « au doigt mouillé » ? – ne permet pas une vision globale et systémique, aujourd’hui indispensable, intégrant des paramètres comme l’érosion du capital naturel, les effets de seuils, les effets de la modification du climat ou la dégradation des services rendus par les écosystèmes. Le PIB ne mesure pas non plus le bien-être humain, et ne nous aide pas plus à définir ce qu’il est, d’ailleurs.

Si on croit encore que la politique a un sens, le signal donné par ce rapport, livré tel quel, sans analyse ni complément d’éclairage, est de ceux qu’il faudrait éviter à tout prix. Parlons à l’intelligence des gens, et à leur générosité. Ré-expliquons le vrai sens du mot « prospérité », qui ne signifie pas abondance de biens ni richesse matérielle, mais « espoir en l’avenir ». Et rappelons, encore et toujours, que le pilotage au PIB ne peut que nous mener à l’échec : perte de sens, destruction des solidarité, effondrement du capital naturel…

Le Grenelle n’aurait-il été qu’une promesse écrite sur du sable, vite effacée par la marée montante de l’éco-scepticisme ? Faudrait-il déjà tout reprendre à zéro ? Ou peut-on encore espérer un retour à la raison ?

- le document de travail de la direction générale du Trésor sur « les impacts macroéconomiques du Grenelle de l’environnement ».