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Le bouclier des Restos
lundi, 6 décembre 2010 / Jean Viard /

Sociologue et directeur de recherches au Centre d’étude de la vie politique française (Cevipof)

Les Restos du cœur risquent de connaître des records de fréquentation cet hiver. Un symptôme de la maladie qui s’attaque à notre système social.

Les Restos du cœur sont le dernier bouclier des pauvres. Un bouclier tenu par 58 000 bénévoles. Il a été créé comme on le sait par Coluche en 1985, qui, on le sait moins, avait obtenu de Jacques Delors l’ouverture des frigos de stockage européens. Une Europe qui était alors une espérance. Et une protection. Et rappelons que les plus pauvres de ce pays sont d’abord des femmes seules avec enfants. Elles représentent 53% des 830 000 personnes aidées par les Restos en 2009.

Pourtant, tout n’est pas catastrophique dans le monde de la solidarité. De 1970 à 1984, on peut parler de baisse sensible des inégalités. Les 10% les plus riches qui touchaient 4,8 fois le revenu des 10% les plus faibles en 1970 n’en touchaient plus que 3,5 en 1984. Ensuite, la réduction de l’écart se ralentit. Puis, tout se désorganise. De 1998 à 2008, le revenu des plus pauvres a progressé de 13,7%, soit 970 euros (hors inflation), mais le revenu des plus riches a lui augmenté de 27,3%, soit… 11 530 euros ! Attention aux calculs en pourcentage. Et si l’on ne prend que les 0,01% des plus riches, eux ont augmenté leurs revenus sur la même période de 360 000 euros avant impôts ! Comme l’indique l’Observatoire des inégalités : « Plus personne ne peut contester la hausse des inégalités dans les années récentes. »

Et malgré cela, notre modèle social, même en danger, fonctionne encore. Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Avant redistribution, l’écart de revenu entre les 20% les plus pauvres et les 20% les plus riches était en 2006 de 6,86. Mais après redistribution, l’écart n’était plus que de 2,55. Depuis, les plus riches ont perdu du fait de la crise financière, mais s’en sont-ils aperçus ? Quant aux plus pauvres, ils seront, eux, plus nombreux à pousser la porte des Restos. Comment croire que cette remontée des écarts de richesse est indispensable à une bonne gestion de notre société ? Et que ce que nous avons su faire après 1968 est irréalisable maintenant ? Les tensions créées par la crise imposent une remise à plat de ces inégalités galopantes, ou les violences seront incontrôlables.

- Retrouvez les chroniques de Jean Viard sur le site Internet du Journal du Dimanche.


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