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Retirer son argent des banques : l’idée de Cantona est-elle révolutionnaire ?
vendredi, 3 décembre 2010 / Philippine Arnal

Faire « s’écrouler le système » en vidant tous nos comptes en banque : cette proposition de l’ex-footballeur est-elle idiote ou géniale de simplicité ? Des économistes répondent.

L’idée lancée en octobre par Eric Cantona ressemble à une brève de comptoir : « Si 3 millions de gens retirent leur argent, le système s’écroule. Pas d’armes, pas de sang. Et là on va nous écouter autrement. » Pourtant, cette sortie, des internautes l’ont prise au pied de la lettre, créant un blog et une page Facebook pour appeler à une panique générale – mais organisée – ce mardi 7 décembre. Via le réseau social, plus de 30 000 personnes se déclarent prêtes à passer à l’acte (et bien plus si l’on compte les versions étrangères de l’appel). L’initiative a fait réagir jusqu’à la ministre de Finances Christine Lagarde, le porte-parole du NPA Olivier Besancenot et même l’ex-footballeur lui-même. Mais quelles conséquences un tel élan peut-il avoir ?

D’après Franck Van de Velde, maître de conférences à l’université Lille I et spécialiste de Keynes, l’acte en lui-même est compliqué à réaliser. Tout d’abord parce que la masse monétaire se compose à 85% de monnaie scripturale, c’est-à-dire écrite sur le papier, ensuite parce que la loi française impose que tout salaire soit versé sur un compte bancaire. Enfin, la manœuvre est d’autant plus délicate que 60% de nos charges quotidiennes sont réglées par virement, chèque ou TIP (Titre interbancaire de paiement).

Et si la ruée bancaire avait vraiment lieu ?

Les comptes courants des ménages ne représentant qu’une des ressources des banques de dépôt, des retraits même massifs n’auraient qu’un effet minime sur des établissements solvables rappellent différents experts. « Des mesures prises par les dirigeants au niveau international seraient infiniment plus efficaces que cette proposition, estime Franck Van de Velde. Pourtant l’attrait de cette proposition est qu’elle est populaire et que les citoyens peuvent immédiatement la mettre en œuvre par rapport à des mesures politiques longues à décider et à appliquer ? »

Malgré tout, « dans l’hypothèse où une banque serait déstabilisée, cela revient à se tirer une balle dans le pied car le système d’assurance des dépôts par l’Etat fait que ce sont les contribuables qui paieront le sauvetage de la banque qu’ils ont voulu sanctionner », fait remarquer Augustin Landier, maître de conférence à la Toulouse School of economics et membre du Conseil d’analyse économique.

Le doigt là où ça fait mal

« Cet appel est sympathique, mais il reste symbolique, estime à son tour Henri Sterdyniak, directeur de recherche à l’Observatoire français des conjonctures économiques, le centre de recherche en économie de Science po, et membre des « économistes atterrés ». En revanche, il peut initier un plus grand mouvement pour faire pression, exiger plus de transparence des banques et revenir à un système plus juste et stable ».

Pour Augustin Landier, ce mouvement met avant tout « le doigt là où ça fait mal » et va peut-être servir à « outrager » une bonne fois les Français pour qu’ils se rendent compte, notamment, de « l’anomalie » qui caractérise la France : l’Hexagone est l’un des derniers Etats où les comptes à vue ne sont pas rémunérés et où les clients prêtent gratuitement de l’argent à leurs banquiers. Finalement, de l’avis des experts, cette idée de footballeur transformée en décharge électrique nationale ne serait finalement pas si idiote.


L’affaire Northern Rock

En septembre 2007, la banque britannique Northern Rock lance un appel à l’aide. Et révèle par là même sa défaillance. Ses clients paniquent et ne tardent pas à accourir au guichet pour retirer leurs bas de laine. Spécialisée dans le crédit immobilier, la majorité de ses fonds était investie dans des crédits hypothécaires à risque, la rendant ainsi vulnérable face à la crise des subprimes. La brève – mais impressionnante – ruée des clients sera finalement stoppée grâce aux garanties apportées par la Banque centrale. En février 2008, pour éviter la faillite, sa nationalisation a été préférée à une reprise privée.

- Le site de la Toulouse School of economics
- Le site du Conseil d’analyse économique
- Le site de l’université de Lille 1
- Le site de l’OFCE
- Le site des « économistes atterrés »