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Haïti : « La France est complice de la corruption organisée »
lundi, 29 novembre 2010 / David Solon /

Président de l’association des Amis de Terra eco Ancien directeur de la rédaction de Terra eco

Catastrophes naturelles, épidémies, fraudes électorales… Rien ne semble épargner Haïti. Pour l’écrivain Gary Victor, cette pseudo-malédiction a des origines : le pouvoir en place et la communauté internationale qui le soutient.

Terra eco : Deux morts et plusieurs affrontements ont été signalés dans le pays et 12 candidats ont exigé l’annulation de l’élection : Port-au-Prince était-elle groggy ce lundi matin au réveil après le scrutin présidentiel ?

Gary Victor : Que voulez-vous que je vous dise ? Ici, nous avons le sentiment d’un éternel recommencement. En fait, ici, la question de la gouvernance et de la transparence ne sont jamais réglées. L’Etat haïtien est corrompu jusqu’à la moelle et la communauté internationale fait semblant de le découvrir année après année.

N’y a-t-il donc aucun progrès visible ?

Bien sur que si ! La population est de plus en plus animée par une envie de changement, de mieux-être. Malheureusement, les millions de dollars investis par le gouvernement en place – le pays est présidé par René Préval depuis 2006 – n’ont été utilisés qu’au financement de cette campagne électorale et au prolongement de ce pouvoir. Nous n’avançons pas.

Pourtant, des observateurs internationaux étaient présents sur place pour le scrutin…

Et ? Vous pensez sérieusement que cela y change quelque chose ? La communauté internationale – France comprise – est complice de cette mascarade et de cette corruption organisée. La population haïtienne est livrée à elle-même. L’ONU est présente sur notre sol depuis plus d’une décennie et personne ne comprend en quoi ces casques bleus servent notre pays.

Que peut-il se passer ?

Je ne sais pas. Je vois seulement que la population réagit. La société civile est structurée et elle ne veut plus souffrir de cette déliquescence de l’Etat. Je ne sais pas combien de temps un Etat digne de ce nom peut laisser 1,5 million de ses concitoyens vivre sous une toile de tente. Mais je suis certain d’une chose, c’est que le peuple haïtien ne va pas se laisser faire.

Parallèlement, le pays semble ne pas réussir sa reconstruction. La faute aux ONG ?

On ne peut pas dire cela. Les organisations non gouvernementales ont tout de même sauvé quelques vies après le séisme. Maintenant, je voudrais dire deux choses. D’abord, à ce que je sache, ce n’est pas aux ONG de diriger un pays. Et puis, je vais être sincère avec vous : la misère dans laquelle se traîne mon pays sert le business de tas de gens.

Vous visez les ONG ?

Ecoutez, pourquoi ne montrer d’Haïti que ses bidonvilles et sa pauvreté ? Tout simplement parce que c’est le fond de commerce des organisations non gouvernementales ! Elles sont plusieurs milliers ici et plus personne ne les contrôle ! Vous trouvez cela sain ? Pas moi. Je vous le répète : notre pauvreté sert les affaires des ONG et de la communauté internationale, France comprise.

Quand Haïti a été dévastée par le tremblement de terre du 12 janvier 2010 – qui a tué plus de 250 000 personnes –, le monde entier avait parlé de la nécessité d’une reconstruction durable du pays. En voyez-vous les signes ?

Non, aucun. Et pour une raison toute simple : il faut une autre gouvernance pour Haïti, une autre structure étatique. Et un investissement dans l’éducation, la santé et la culture beaucoup moins timide. D’un pays comme la France par exemple ! L’éradication de la corruption est le seul chemin à prendre. Et je ne constate rien de cela.

Gary Victor, vous êtes un intellectuel, une élite de ce pays dans lequel vous avez choisi de continuer à vivre. On vous sent au bord de la rupture.

Je ne suis pas une élite. Je suis haïtien et je ressens comme mes compatriotes cette douleur au fond de moi. Nous ne nous reconnaissons pas dans le pouvoir en place, ni dans celui que la communauté internationale semble vouloir protéger. Mais encore une fois, nous ne nous laisserons pas faire.

Gary Victor est né à Port-au-Prince en 1958. Son dernier roman, Le sang et la mer, a été publié en 2010 aux éditions Vents d’ailleurs.


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