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Dis papa, pourquoi les petites pilules sont-elles roses ?
jeudi, 3 mars 2005 / Caroline Montaigne , / ponofob (illustration)

Ronds ou allongés. Gélules ou comprimés. Blancs ou colorés. Les médicaments ne doivent pas leur look au hasard. Entre impératifs scientifiques et grosses ficelles marketing, le dosage est subtil.

L’idée lui est venue lors d’un voyage en Afrique. Un jour, sur un marché du Togo, Patrick Lemoine observe une femme, qui distribue des médicaments. D’un joyeux mélange, elle réussit à extraire les plus adaptés à chacune des maladies de ses "clients". Un bleu pour les soucis, un marron pour les douleurs du ventre... La prescription se fait en fonction de la couleur.

De retour en France, ce psychiatre de la région lyonnaise [1] procède à quelques vérifications et réalise que les recommandations de l’Africaine ne sont pas très éloignées de celles des laboratoires pharmaceutiques. Y-aurait-il pour les médicaments une symbolique des couleurs ? Certaines associations se font en tout cas naturellement : le bleu serait souvent utilisé pour le sommeil, le rose ou le vert contre l’angoisse, le jaune contre les infections urinaires... "Il y a un effet placebo chez le patient, lié à la couleur, remarque Patrick Lemoine. Le médicament perçu comme le moins efficace est d’ailleurs un comprimé blanc et de taille moyenne."

Sujet tabou

Véronique Liabeuf, est directrice générale associée de Dragon Rouge Santé, une agence de design spécialisée dans l’industrie pharmaceutique. Pour elle, cette généralisation de la couleur est aussi liée à l’internationalisation du marché des médicaments : "Aux Etats-Unis, tout est systématiquement très coloré. Or, lorsqu’un nouveau produit est lancé, il l’est au niveau mondial et les spécificités locales sont peu prises en compte." Même si Pfizer a dernièrement, pour l’un de ses traitements, réalisé un emballage spécifique pour le marché européen, ce genre d’expérience reste plutôt marginal. Les laboratoires pharmaceutiques sont d’ailleurs peu loquaces sur la question. Lorsqu’on leur demande s’il existe des codes de couleur et si ce paramètre est pris en considération au moment de la fabrication d’une nouvelle molécule, c’est l’omerta.

Contrer les médicaments génériques

Un médicament, ce n’est pas seulement une couleur, c’est aussi une forme qui, selon Patrick Lemoine, peut avoir un effet psychologique. "En France, le Lexomil est "quadrisécable", contrairement aux formules vendues en Allemagne ou en Italie. Comme il peut être coupé, les patients pensent qu’il entraîne moins de dépendance, alors qu’il n’y a aucune différence." Y-a-t-il derrière cette présentation une réflexion des laboratoires ? Hugues Joublin, de Novartis, certifie que ces considérations n’entrent pas en jeu et que la démarche est avant tout scientifique : "Trois facteurs déterminent la forme d’un médicament. De quelle manière la substance est-elle la plus active ? Faut-il pour cela un comprimé, des gouttes ou une gélule ? Peut-il être facilement produit en grande quantité ? Enfin, quel est le public concerné ? S’il s’agit de personnes âgées, on privilégiera les gouttes aux formes solides, car elles sont plus faciles à ingérer." Mais, reconnaît-il, un autre paramètre pourrait être pris en compte dans les années à venir : pour contrer les génériques, les laboratoires pourraient être tentés de choisir des formes plus compliquées. Donc plus difficiles à copier.

"Les premiers génériques étaient très basiques en termes de emballage mais ce n’est plus le cas. N’ayant pas besoin d’investir en recherche, puisque la molécule existe déjà, les génériqueurs soignent leur image", remarque Véronique Liabeuf. Ce qui oblige les laboratoires de marque à réagir. "Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à nous consulter car ils ont compris que l’emballage peut créer une identité et devenir un support de communication", ajoute-elle. C’est ainsi que nouvelles couleurs, jusqu’alors inexploitées, apparaissent sur le marché : prune, mauve ou aubergine. Des nuances héritées, selon elle, de la vague des nouvelles technologies.


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