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Pour une social-écologie
jeudi, 25 novembre 2010 / Pierre Moscovici /

Député socialiste du Doubs.

Député et probable candidat aux primaires du PS pour les prochaines présidentielles, Pierre Moscovici tente de définir le socialisme de demain : rose avec du vert dedans.

Le 29 novembre prochain se tiendra à Cancún la conférence de l’ONU sur le changement climatique qui doit préparer l’après-Kyoto. A quelques jours de cette échéance, je veux ici prendre le temps de regretter l’échec, relatif mais indéniable, de la réunion organisée début octobre à Tianjin en Chine. C’est un préalable inquiétant, signe que le temps politique est rarement celui du long terme, alors que les difficultés économiques, les problèmes monétaires et la contestation sociale accaparent les agendas nationaux et internationaux.

Le Parti socialiste ne fait pas exception à la règle : après « l’embellie environnementale » des régionales – consécutive il est vrai d’une réelle percée électorale de nos partenaires d’Europe Ecologie – et de la convention pour un nouveau modèle de développement que j’ai animée au printemps, nous avons eu tôt fait de revenir à des priorités plus « classiques », aussitôt que ces questions ont cessé d’être en tête des préoccupations médiatiques. C’est une erreur. D’abord, parce que l’urgence climatique n’a pas changé. Ensuite, parce que ces questions seront un enjeu central des prochaines échéances électorales.

Plus que jamais, il est donc urgent de définir une véritable écologie socialiste qui soit précise et clairement identifiable. La convention nationale sur le nouveau modèle de développement, en avril dernier, fut l’occasion d’un pas décisif : pour la première fois, le Parti socialiste reconnaissait que sa clé de lecture du monde ne devait plus seulement être économique et sociale mais économique, sociale et écologique. Evidemment, je m’en félicite. Mais je veux dire immédiatement que ce n’est pas assez : nous devons, en tant que formation politique, dire clairement quelles sont les bases de notre doctrine en la matière.

Quelles pistes poursuivre pour fonder cette nouvelle identité écologique, propre à la social-démocratie ? J’en vois trois.

Le premier principe qui doit fonder nos réflexions est celui du lien entre crise sociale et urgence climatique, dans un cadre budgétaire souvent contraint. Préparer l’avenir de ne donne pas pour autant le droit aux gouvernants d’occulter la détresse sociale d’aujourd’hui au nom de celle de demain. Je pense ici à la taxe carbone, mais également à une stigmatisation des modes de déplacement souvent trop simpliste et déconnectée de la réalité : offres de transports limitées, horaires décalés, prix des véhicules propres, mobilité réduite.

Notre société a autant à craindre d’un accès à l’énergie à deux vitesses, d’une qualité de l’air et de l’eau qui varie selon les catégories sociales que d’émissions de gaz à effet de serre qui affectent uniformément l’ensemble de la population. Il nous faut lutter contre le cumul de toutes les précarités, qu’elles soient économiques, sociales, environnementales ou énergétiques. C’est cette colonne vertébrale du socialisme qui différenciera la social-écologie de l’écologie « classique » : poursuivre un objectif de sobriété énergétique nationale sans jamais remettre en cause un accès pour tous au service énergétique minimum.

Le deuxième axe structurant la construction de la social-écologie doit être la reconnaissance des outils économiques comme moyen privilégié de conduite de nos nouvelles politiques environnementales. La droite a une prédilection pour des outils fiscaux criblés d’exonérations et pour une régulation des marchés aussi laxiste qu’inefficace. Cet échec dessine en creux ce que doit être notre politique : des outils sans concession par rapport à l’objectif. Je crois à l’efficacité des marchés carbone ; encore faut-il que les quotas ne soient pas distribués gracieusement et en nombre excessif. C’est dans le cadre de la vaste révolution fiscale à laquelle nous appelons que doivent naître ces nouveaux outils économiques : si les différentes contributions et taxes (telles que la TVA) sont correctement éco-modulées, alors nos modes de production et de consommation changeront durablement. A ce titre, je milite pour une contribution climat-énergie forte, qui pourra porter de manière alternative sur les niveaux ou l’évolution de la consommation. Mais cette contribution devra être générale, socialement juste et efficace – à travers la redistribution pour des produits de reconversion ciblés « verts ».

La dimension économique est d’autant plus cruciale que la conversion écologique est elle-même une condition sine qua non pour la compétitivité économique de nos industries. Ne nous leurrons pas sur le devenir des entreprises, des secteurs et des territoires qui ne prennent pas le tournant des économies d’énergie, de la sobriété en matières premières, de la limitation des impacts polluants : ne pas s’atteler aujourd’hui à ces défis, c’est préparer les retards industriels de demain.

Le troisième pilier de notre social-écologie doit enfin être la dimension européenne et internationale. Le levier national reste d’actualité, mais à problème global ne peut se dessiner qu’une solution globale : la gouvernance écologique est aujourd’hui complexe et les initiatives territoriales éparpillées, tout comme les outils du marché, ne suffisent plus.

J’appelle donc à deux batailles. La première concerne l’Europe, qui se distingue aujourd’hui comme le seul acteur mondial à faire preuve d’un réel réformisme écologique. Je souhaite que nous redéfinissions un nouveau « contrat » entre toutes les gauches européennes, sociales et écologiques. Le deuxième axe devra être celui des normes internationales, pour passer du libre-échange au juste-échange, parce que l’échelle mondiale est la seule pertinente pour fixer des objectifs sur le changement climatique, les ponctions de matières premières, les inégalités d’accès aux biens publics mondiaux, la préservation de la biodiversité. C’est parce qu’il ne pourra jamais y avoir de social-écologie crédible et efficace qui se limite aux seules frontières nationales que la dimension européenne et internationale est indispensable.

Le chemin est tracé, il nous faut maintenant faire entendre notre voix. C’est ce que nous devons faire lors de nos discussions avec Europe Ecologie sur un éventuel programme commun. Je n’ignore pas que des questions feront débat : la question de la décroissance – terme auquel je préfère celui de « croissance sélective » – celle du nucléaire, ou encore la place de l’automobile.

Nous devrons mettre ces sujets à plat, faute de quoi le dialogue sera éphémère. Mais pour dépasser ces débats politiques autant que techniques, nous devrons surtout veiller à ce que ces questions qui façonnent le visage d’un pays soient rendues au débat public : les choix du « mix » énergétique, du modèle agricole et alimentaire, doivent sortir des cercles d’experts pour donner lieu à une discussion citoyenne publique. Nous savons le faire dans nos collectivités depuis de nombreuses années, nous devons l’instaurer pour ces sujets nationaux. Le changement de modèle économique et technique est un enjeu majeur : les citoyens doivent être associés et concernés, et leurs aspirations au changement incarnées.