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La vraie menace qui pèse sur l’euro
mercredi, 17 novembre 2010 / Pascal Canfin /

Député européen Europe Ecologie, siège au sein de la commission des Affaires économiques et monétaires. Ancien journaliste à « Alternatives économiques »

Pour Pascal Canfin, député européen Europe Ecologie et spécialiste des questions économiques, l’avenir de la monnaie unique est aujourd’hui menacé. Et pour sortir de la crise, l’Europe se doit d’être plus cohérente en matière de justice sociale.

Oui, les choses sont graves. Et l’avenir de l’euro est potentiellement menacé. Mais un point important est à souligner : les déficits publics actuels, sont en grande partie les conséquences de déséquilibres économiques enregistrés dans la sphère privée. Les fameux 32% de déficit public de l’Irlande sont, pour l’essentiel, dus au sauvetage des banques. Idem pour l’Espagne. Trois ans avant la crise, la Communauté européenne lui dressait des lauriers et applaudissait son strict respect du Pacte de stabilité et de croissance. Aujourd’hui, elle est dans un marasme économique et compte 20% de chômeurs ! C’est parce qu’elle a laissé exploser la dette des ménages liée à la bulle immobilière qu’elle a dû en 2008/2009 faire exploser son déficit public pour tenter de contrebalancer l’effet récessif de l’explosion de cette dette des ménages en injectant de « l’argent frais » dans l’économie.

La question centrale ne porte donc pas sur les sanctions à imposer aux Etats qui enregistrent un déficit public. La survie de la zone euro, et donc en partie de la construction européenne, dépend avant tout de sa capacité à sortir du dogme néolibéral qui considère que les problèmes économiques ne peuvent venir que de la sphère publique (déficit et dette publics) et non du reste de l’économie. Pour assurer l’avenir de l’euro, il faut impérativement faire trois choses : réguler les banques et les marchés financiers de manière beaucoup plus stricte pour éviter une situation à l’irlandaise, anticiper la formation des bulles spéculatives sur l’immobilier pour éviter une situation à l’espagnole, et élargir la gouvernance économique à la question des compétitivités relatives entre les Etats pour éviter une situation à la grecque. Dans cette chronique, je me concentre sur le dernier aspect et je reviendrai dans d’autres textes sur les autres éléments de réforme nécessaires.

Aujourd’hui dans la zone euro, même si la monnaie est la même, le coût du travail rapporté à la productivité du travail (autrement dit : « Quelle valeur économique est créée par une heure de travail et à quel prix ? ») évolue, au sein des Etats, de façon divergente et non convergente.

L’Allemagne entretient une stratégie au sein de l’UE tournée vers la prise de parts de marché à l’exportation. On la mesure à deux critères. Sa balance courante (autrement dit l’ensemble des flux financiers liés aux échanges de biens et de services avec le reste du monde) qui est très excédentaire et le rapport entre l’évolution de la productivité et l’évolution des salaires. En Allemagne depuis 10 ans la première augmente plus vite que les seconds. Cela veut dire que les gains de productivité ne sont pas redistribués aux salariés. Or, quand l’Allemagne gagne des parts de marché dans l’UE, elle le fait forcément au détriment des autres pays européens. En clair, quand l’Allemagne engrange des excédents sans les redistribuer à ses salariés, cela implique des déficits ailleurs dans la zone euro. On objectera que si l’Allemagne exporte, c’est d’abord parce que ses produits son bons ; c’est vrai, et la France pourrait en tirer des leçons. Mais ce qui est critiquable c’est le fait qu’elle ne redistribue pas ses gains de productivité aux salariés (par exemple par des hausses de salaires) limitant ainsi artificiellement sa consommation intérieure au détriment de la justice sociale et de l’intérêt des pays européens qui exportent des produits vers l’Allemagne.

La Grèce, elle, a depuis 10 ans une politique inverse. Elle laisse dériver sa compétitivité, et a choisi d’augmenter les salaires plus que la productivité. Jusqu’ici, elle pouvait se permettre cette politique grâce au parapluie européen. L’euro lui garantissait des taux d’intérêt faibles, car fixés sur les tendances moyennes de la zone, ce qui lui permettait de s’endetter à bas coût pour financer ses déficits. Mais la situation a fini par exploser au printemps dernier.

Quand on partage la même monnaie et que l’on a des compétitivités relatives qui divergent en permanence, il y a trois solutions possibles. La première est un mouvement migratoire très fort pour que les zones dynamiques attirent les chômeurs des zones faiblement dynamiques. Cela se passe au sein même des Etats membres (les Auvergnats qui ont migré à Paris au XIXe siècle) mais pas au sein de l’UE, principalement en raison des différences culturelles. La seconde est... de supprimer la monnaie unique pour laisser les monnaies nationales s’ajuster. C’est le scénario de sortie de l’euro voire de désintégration de la zone que soulève Herman Van Rompuy. Le troisième, c’est de mettre fin aux divergences de compétitivité ! Pour cela, il faut agir en priorité sur deux indicateurs : la balance courante (qui mesure les excédents et les déficits) et le rapport entre salaires et compétitivité. On pourrait imaginer par exemple tirer la sonnette d’alarme si la balance courante d’un pays affiche plus de 3% du PIB de déficit ou d’excédent. Car cela signifie que sa politique se fait nécessairement au détriment des autres pays de la zone euro. En Allemagne, cela voudrait dire aujourd’hui qu’il faut une augmentation des salaires, en Grèce, une augmentation de la productivité. La Commission européenne a fait des propositions législatives en ce sens en septembre et celles ci font maintenant l’objet d’un processus en codécision entre le Parlement européen et le Conseil.

L’avenir de ce grand débat est donc ouvert. Quoi qu’il arrive, l’évolution de la gouvernance économique européenne impliquera pour les Etats d’accepter de mettre en commun une partie de leur souveraineté et de donner enfin du contenu à l’Europe sociale.