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Les ONG sont dans la rue
jeudi, 10 février 2005 / Toad , / Isabelle Raymond

Les appels à la générosité s’empilent dans les boites aux lettres. Le public sature. Pour recruter de nouveaux donateurs, les ONG recourent donc à de nouvelles techniques. Tenez-vous prêts à vous faire alpaguer dans la rue !

"Bonjour, vous connaissez WWF ?" A ceux qui prennent un moment pour écouter, le jeune démarcheur de rue présente l’association pour laquelle il collecte et tente de les sensibiliser aux valeurs qu’elle défend. A la clé, les coordonnées bancaires et la signature du passant pour son inscription au don par prélèvement automatique mensuel. Ce qui, pour les ONG, se traduit par donateur régulier, plutôt fidèle et assez jeune. Pour trouver ce spécimen rare, elles sont de plus en plus nombreuses à battre le pavé.

Le don descend dans la rue

Le contexte est propice. Le donateur moyen est plutôt âgé, et parce que certaines ONG n’hésitent pas à s’échanger leurs fichiers, il voit sa boîte aux lettres saturée d’appels à la générosité et y répond de moins en moins. Cet essoufflement contraint les ONG à tester de nouveaux moyens de collecte. Le marketing direct électronique, prospection par e-mail, reste pour l’instant moins efficace qu’espéré. Descendre dans la rue à la rencontre de donateurs potentiels est donc l’alternative.

C’est Greenpeace qui a ouvert la voie dès 1995 en Autriche, puis en 1997 en France avec Jean-Paul Caulin-Recoing à la tête du programme. En trois ans, la stratégie a permis de tripler le nombre de donateurs de Greenpeace France, de 20000 à 60000. En mars 2004, à 37 ans, Jean-Paul Caulin-Recoing a monté ONG Conseil, une SARL avec un capital de départ de 30000 euros. Il travaille avec dix associations, de Médecins du monde à WWF en passant par Aid, l’Unicef, le Secours catholique ou Care, et emploie certaines semaines jusqu’à cent salariés. "Sur le plan européen, les entreprises spécialisées dans la collecte de dons de rues ont presque toutes été créées par des anciens de Greenpeace", explique Jonathan Jeremiasz, son associé. Cheveux longs, barbe d’une semaine et 25 ans tout juste, ce dernier a été recruteur de rue pendant des années et a même décroché un DEA en sociologie sur le sujet.

Selon lui, "deux choses clochent avec les structures existantes, un manque de connaissance des ONG et des méthodes de management peu cohérentes avec le monde associatif. Les recruteurs de rues sont payés au lance-pierre et reçoivent une prime aux résultats. Du coup, ils travaillent à l’arrache. En clair, ils recrutent de nouveaux donateurs à tour de bras et récoltent beaucoup de promesses de dons. Malheureusement, ceux qui ont eu l’impression de se faire forcer la main, se désistent rapidement et gardent même une image détériorée de l’ONG. Pour limiter cela, Médecins Sans Frontières préfère gérer elle-même sa collecte de rue. De son côté, ONG Conseil augmente les salaires de ses recruteurs de rues, et surtout les forme à la spécificité de l’ONG qu’ils vont devoir "vendre" et à la manière d’aborder le passant dans la rue.

Partage du marché

"Sur l’année, nous investissons 400000 euros sur ces collectes, avance Philippe Lévêque, directeur de Care France. C’est un investissement lourd, mais on le récupère au bout de 18 mois grâce à la venue de nouveaux donateurs." Les dons se font par prélèvement bancaire. Pas de papier, pas de relance. Jonathan Jeremiasz reste discret sur le chiffre d’affaires d’ONG Conseil et préfère parler de conviction. "Globalement, le travail des ONG est positif et je les aide à être plus efficace en terme de ressources et de mobilisation". Quant à la concurrence, pour l’instant inexistante, elle ne lui fait pas peur. "La pérennité de nos programmes repose essentiellement sur leur qualité. Si l’on n’est pas responsable, le marché peut saturer. Avec de la coopération, il peut durer des années. En Belgique et au Danemark, deux structures se partagent le marché et se sont mises d’accord sur un label éthique. En Grande-Bretagne en revanche, c’est désormais impossible de descendre dans la rue. Les recruteurs étaient payés à la commission, ils harcelaient les passants. Les deux boîtes de collecte de dons de rues ont fait faillite."

En attendant la concurrence sur le pavé français, ONG Conseil participe à l’élaboration d’une charte éthique européenne. Pour éviter que les nouveaux professionnels de la collecte de dons ne ressemblent à des marchands de chaussures.


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