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Biodiversité : l’accord de Nagoya est bien historique
mardi, 9 novembre 2010 / Sandrine Bélier /

Députée Europe Ecologie, membre de la délégation officielle du Parlement européen.

De la joie, des larmes, des applaudissements : c’est ce qu’a vu la députée européenne Europe Ecologie Sandrine Bélier à la clôture du sommet de l’ONU sur la biodiversité. Récit.

Jusqu’aux dernières heures de la plénière de clôture du sommet international de l’ONU pour la préservation de la biodiversité, nous nous sommes tous demandé si les 190 pays parties parviendraient à s’entendre sur un accord ouvrant des perspectives de préservation et gestion de notre patrimoine naturel mondial juste et durable. Durant les quinze jours de cette Convention, les négociations ont été difficiles, chaque mesure, chaque expression ou mot utilisé a été pesé et discuté. Et samedi 30 octobre, à 1h32 du matin, une issue a finalement été trouvée, in extremis, exprimant, avant tout, la volonté commune de la communauté internationale de lutter contre la perte de la biodiversité et d’assurer un avenir à l’humanité.

Au cœur de cette dernière réunion décisive, la tension et l’inquiétude étaient palpables. Les trois textes, à savoir le plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020, le protocole ABS (Access and Benefits Sharing) et les mécanismes financiers ont été négociés jusqu’à la dernière minute. Menée de main de maître par Ryu Matsumoto, président de la COP10 et ministre de l’Ecologie japonais, cet ultime rendez-vous s’est soldé par un succès diplomatique indéniable, le premier grand accord international pour l’environnement depuis le protocole de Kyoto, entré en vigueur en 1995.

Chacun avait à l’esprit l’échec du sommet de Copenhague sur le climat, et nul doute que le spectre d’un nouveau fiasco a été pour beaucoup dans la motivation des parties de parvenir à un accord. L’aboutissement de cette réunion est en effet le résultat d’un travail acharné de toutes ces parties, d’une volonté de compromis inaliénable et d’une préoccupation pour le futur de notre planète indéniable. Grâce à ce résultat, nous pouvons enfin envisager le processus de construction d’une relation harmonieuse avec notre monde. Cet accord, composé de trois principaux textes, fait renaître l’espoir dans notre capacité à faire face solidairement aux principaux enjeux du XXIe siècle.

Le plan stratégique de la Convention sur la diversité biologique, appelé désormais « Protocole d’Aïchi », inclut en effet 20 objectifs principaux, organisés en vertu de cinq buts stratégiques. Il constitue un cadre général non seulement pour les politiques de préservation de la biodiversité, mais aussi pour l’ensemble de politiques sectorielles qu’a à développer le système des Nations unies. Non juridiquement contraignant, il repose sur l’engagement des parties à transposer ce cadre international général en stratégie et plan d’action nationaux pour la biodiversité d’ici deux ans.

Parmi les objectifs, les parties se sont notamment entendu pour réduire au moins de moitié ou, lorsque possible, à près de zéro le taux de perte d’habitats naturels, y compris les forêts. Elles ont en outre établi un objectif d’aires protégées à hauteur de 17% pour les zones terrestres et les eaux continentales et de 10% pour les zones marines et côtières. Par la conservation et la réhabilitation, les gouvernements restaureront au moins 15% des zones dégradées, et se sont engagés à un effort spécial pour réduire les pressions affligeant les récifs coralliens. Enfin, d’ici à 2020 au plus tard, les incitations, y compris les subventions néfastes pour la diversité biologique, sont éliminées, réduites progressivement ou réformées, afin de réduire au minimum ou d’éviter les impacts défavorables.

Autre point clé, l’adoption d’un protocole contraignant, appelé « Protocole de Nagoya », sur l’accès et le partage des avantages tirés des ressources génétiques et des savoirs traditionnels associés. Cet acte majeur dans la lutte contre la biopiraterie – même si le texte est marqué par la difficile négociation et la recherche du consensus – doit être salué. Sont enfin actées, après huit ans de négociations, l’obligation d’obtenir le consentement préalable donné en connaissance de cause de l’Etat fournisseur, l’obligation de partager les avantages (matériels et non matériels) issus de l’utilisation des ressources et des savoirs accédés et la mise en œuvre d’un système de traçabilité des ressources une fois le pays fournisseur quitté. L’application stricte de ces principes devrait permettre de rétablir l’équilibre des relations entre les pays du Sud riches en biodiversité et les pays industrialisés qui l’utilise.

Dire aujourd’hui que le Sommet de Nagoya est un succès relève d’un parti pris : celui de voir le verre à moitié plein. Considérer l’accord de Nagoya comme un accord historique n’est pas qu’une vue de l’esprit. Parce qu’il s’est passé quelque chose d’historique, dans la période de crises que l’ensemble des habitants de la planète vit de plus en plus durement ces dernières décennies. Parce qu’il y a un avant et un après Nagoya dans la perspective d’une nouvelle gouvernance mondiale environnementale. Alors, certes, reconnaissons que l’accord est loin d’être parfait et suffisamment contraignant. Il est bien sur en deçà de nos ambitions. Mais il est une étape décisive dont nous avions tous besoin.

Ce n’est pas renoncer à faire mieux que d’admettre la réussite de ce rendez-vous et de reconnaître le levier qu’il constitue pour l’avenir de la lutte contre la perte de la biodiversité, le dérèglement climatique, la lutte contre la pauvreté, pour l’avenir de l’humanité. Dans le contexte, personne aujourd’hui ne peut raisonnablement soutenir qu’il ne constitue pas un pas important vers une redéfinition de nos relations économiques et diplomatiques avec les pays du Sud. Personne ne peut affirmer qu’il n’est pas le début d’une nouvelle gouvernance mondiale et d’une réelle prise de conscience de l’urgence à agir.

Il fallait être au cœur de cette plénière et vivre la joie, les larmes, les applaudissements et le soulagement sur tous les visages, après des semaines, des heures de négociations ardues, pour mesurer ce que comporte cet accord de Nagoya. Oui, tous les visages, sans exception. Des Brésiliens aux Cubains, en passant par les pays africains, les Japonais et les représentants de l’Union européenne. Un vent d’espoir a véritablement soufflé sur les délégués présents à Nagoya aux premières heures de ce 30 octobre 2010.

Une nouvelle dynamique s’est enclenchée, qui ne minimise en rien l’échec de Copenhague, mais nous montre, enfin, malgré sa fragilité, que le sommet de Cancún, du 29 novembre au 10 décembre, peut lui aussi, se solder par la réalisation d’un compromis prometteur. Le début d’une nouvelle ère. Celle d’hommes et de femmes de bonne volonté, d’hommes et de femmes responsables et conscients de l’urgence à apporter des réponses pour sortir de la crise écologique.