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La nature n’est pas à vendre !
vendredi, 22 octobre 2010 / Sandrine Bélier /

Députée Europe Ecologie, membre de la délégation officielle du Parlement européen.

La biodiversité est au coeur de la conférence internationale de Nagoya au Japon depuis une semaine. Et le moins qu’on puisse dire c’est que ça n’avance pas vite. L’analyse de Sandrine Bélier, députée Europe Ecologie et spécialiste de la question.

Le sommet de Nagoya pour la préservation de la biodiversité a débuté lundi 18 octobre. Le programme de travail est chargé et les premières crispations n’ont pas tardé à se faire sentir. L’ensemble de la communauté internationale s’accorde à reconnaître que nous sommes dans l’obligation d’aboutir à un accord mondial face à l’urgence de l’accélération sans précédent, de l’érosion de notre patrimoine naturel. Trouver un accord sur les mécanismes permettant de préserver et gérer durablement nos ressources naturelles. Conclure un accord, à quelques semaines du Sommet de Cancún sur le dérèglement climatique, pour marquer la volonté d’une nouvelle gouvernance mondiale responsable et apte à faire face aux principaux enjeux planétaire du XXIème siècle : Climat, Biodiversité et Pauvreté.

L’urgence à été déclarée à l’ouverture du Sommet. L’échec des stratégies, de lutte contre la perte de la biodiversité, engagées depuis les sommets de Rio (1992) et Johannesburg (2002), est acté. Les principales causes de cet échec sont reconnues : défaut de volonté politique marquée par le manque de coordination, le manque de courage et le manque de cohérence. Les 193 États-parties à la négociation doivent donc se fixer de nouveaux objectifs et se donner les moyens de les réaliser.

Trois axes sont au programme : la mise en œuvre d’un plan stratégique pour la biodiversité dès 2011 (avec deux échéances, 2020 et 2050), un protocole sur l’accès et le partage des avantages liés à la biodiversité (protocole APA ou ABS) et les ressources financières qui y seront consacrées.

A l’issue de cette première semaine de négociations, il ressort une volonté politique, sous pression du G77, d’aboutir à un accord sur un « ensemble indivisible ». En d’autres termes, il n’y aura pas d’accord sur le plan stratégique pour la biodiversité, ni sur la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES = GIEC de la biodiversité) sans accord sur le protocole ABS accompagné d’engagements financiers. Les discussions se focalisent aujourd’hui principalement sur les conditions de mises en œuvre du protocole ABS. De cet accord, dépend la réalisation du 3ème objectif de la CDB, à savoir le « partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques », près de 20 ans après l’entrée en vigueur de la Convention et après plusieurs décennies de pillages des ressources génétiques des pays du sud de la planète par les multinationales pharmaceutiques, agro-alimentaires et cosmétiques.

Les demandes du G77 à ce sujet nous obligent. Même si des législations nationales existent, comme en Afrique du Sud, il y a une demande à la fois des fournisseurs de la ressource et des utilisateurs de partager des règles précises au niveau international. En clair, comment faire en sorte que le pays abritant, par exemple, une plante médicinale – qui est généralement un pays en développement – reçoive une partie des avantages matériels et non matériels qu’en aura tirés une entreprise pharmaceutique et plus largement les populations qui auront bénéficié du médicament commercialisé ? Comment assurer que ces avantages bénéficient aux développements des populations autochtones et locales ? Comment assurer un système qui ne débouche pas sur une brevetabilité et monétarisation du vivant ? Comment assurer un système qui intègre la dimension des savoirs et traditions locales, la valeur culturelle, morale et scientifique de la biodiversité ? Comment assurer que l’avenir de la biodiversité et de l’humanité ne soit pas délégué aux pouvoirs économiques et aux financiers ? Comment assurer que ces négociations ne débouchent pas sur la création d’un marché mondial de la biodiversité ?

Voilà huit ans que les États signataires de la convention sur la biodiversité planchent sur la rédaction d’un protocole en la matière. L’idée que l’utilisateur potentiel demande à l’autorité nationale compétente l’accès à l’une des ressources génétiques du pays et que soit signé un contrat de partage des avantages font consensus mais de nombreux points restent en discussion. Doit-on, par exemple, inclure les virus, qui vont donner lieu à la fabrication de vaccins ? Doit-on y inclure les ressources génétiques en haute mer, patrimoine commun de l’humanité ? Et, surtout, à partir de quand ce protocole s’appliquera-t-il ? Les diplomates estiment que cette question est l’un des points durs de la négociation. Les pays du Sud souhaitent que le texte soit rétroactif. Ils demandent par ailleurs que les pays du Nord multiplient leurs aides ciblées sur le maintien de la biodiversité par 10 voire… 100 !

Sans accord financier, il n’y aura pas d’accord sur le protocole, ni sur les objectifs 2020. Aucune des parties ne pourra donc se contenter d’une déclaration d’intentions, aussi ambitieuses soient-elles, si elles ne sont pas chiffrées. La responsabilité de préservation de notre patrimoine naturel, patrimoine commun de l’humanité ne sera pas déléguée au secteur privé : La nature n’est pas à vendre ! Il reste à peine 8 jours que ce sommet soit un succès et ce n’est pas gagné…