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Les syndicats peuvent-ils utiliser l’arme nucléaire ?
mercredi, 20 octobre 2010 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

D’un côté, le droit de grève. De l’autre, la sécurité des sites nucléaires et le risque de pannes de courant. Jusqu’où les travailleurs de l’atome peuvent-ils s’engager contre la réforme des retraites ?

C’est l’équivalent de la production de trois réacteurs nucléaires qui était à l’arrêt ce lundi. Pourquoi ?Conséquence du mouvement social qui touche les sites nucléaires de Chinon (Indre-et-Loire), Blayais (Gironde), Tricastin (Drome) et surtout Flamanville (Manche) où une grève de deux jours et une baisse de 50% de l’activité ont été votés. « Nous avons réduit lundi la production d’électricité de 3 000 mégawatts (MW) », explique Marie-Claire Cailletaud, porte-parole de la CGT Energie. « Des assemblées générales sont prévues ce [mardi] soir et mercredi matin pour décider des baisses de charges dans les centrales, ce qui laisse augurer de nouvelles baisses », renchérit son collègue Eric Hugelmann, animateur du pôle production nucléaire à la CGT Energie. Après les raffineries, les centrales nucléaires pourraient-elles aussi se mettre être à l’arrêt ? Avec quelles conséquences ? Éléments de réponse.

Comment ralentir l’activité d’une centrale ?

Petit rappel du fonctionnement d’une centrale. Dans le réacteur, la fission des atomes dégage de la chaleur qui va transformer l’eau en vapeur. Cette vapeur fait ensuite tourner une turbine, produisant ainsi de l’électricité. Pour réduire la production, il faut donc réduire la réaction nucléaire. « Une centrale nucléaire fonctionne un peu comme une chaudière, explique Eric Hugelmann. De la même manière que l’on diminue le feu d’une chaudière, on peut placer des “barres de commandes” dans la cuve afin de ralentir la réaction nucléaire et donc la production d’électricité. »

Bien sûr, une telle manœuvre prend plusieurs heures. Et il n’est pas question d’arrêter complétement la centrale. Pour des raisons de sécurité, un seuil minimum – d’environ un quart de la production maximale – doit être maintenu. Les équipes grévistes qui diminuent la production sont donc toujours tenues d’assurer toutes les manœuvres de sécurité pour vérifier si les normes de température et de puissance sont respectées. Le service minimum s’applique ainsi aux travailleurs de l’atome conformément à la décision prise il y a trente ans par le Conseil constitutionnel relative au droit de grève dans les centrales nucléaires.

Risque-t-on la coupure de courant ?

« Il n’y aura aucune conséquence pour nos clients », assurait mardi EDF. De nombreux sites sont en effet « intouchables » et les syndicats ne peuvent y diminuer la production. Certains tournent déjà au ralenti pour des révisions. Elles durent environ un mois. D’autres sont « non manœuvrables » pour la même durée : leur combustible est en fin de vie et il n’est plus possible de ralentir ou d’accélérer la réaction nucléaire. Enfin, plusieurs sites sont en « essai périodique de sureté », ce qui implique des tests à activité constante pendant un à quatre jours. Au final, les syndicats ne peuvent réduire la voilure que dans 24 des 58 réacteurs français. Car les essais se multiplient, ce que dénonce Eric Hugelmann : « C’est la première fois qu’autant de tranches sont à l’arrêt ! Certains de ces arrêts sont justifiés mais on a l’impression que d’autres sont calés exprès les jours de grève pour limiter l’impact de nos mobilisations. A Flamanville, une journée d’essai a été imposée ce mercredi, jour de grève, alors qu’elle aurait dû l’être plus tard. »

Et même sur les sites en fonctionnement « normal », la marge de manœuvre est limitée. Le gestionnaire du réseau (Réseau de transport d’électricité, RTE) peut en effet imposer aux centrales de cesser les baisses de charge. « En salle de commande, on reçoit un message sur le pupitre et une alarme avec un voyant rouge s’allume. C’est ainsi que l’on nous ordonne de cesser la baisse de charge ou même de remonter progressivement le niveau de production. Enfin, en cas de danger on reçoit par téléphone l’ordre de ne plus toucher à rien », témoigne Éric Hugelmann. Tout employé qui ne se plie pas à cette règle risque le conseil de discipline et l’exclusion. De mémoire de syndicaliste, ce cas n’a failli arriver qu’une fois, en 1989. Lundi, RTE avait justement pris les choses en main et plusieurs centrales ont reçu l’ordre de cesser la baisse de charge, selon la CGT. Celle de Flamanville a, elle, été invitée à augmenter sa production. L’action des syndicats reste donc très encadrée. Même en cas de grève massive, aucune coupure d’électricité n’est vraiment envisageable.

Comment compenser la perte de production électrique ?

Pour autant, l’impact de tels débrayages n’est pas nul. Si la production a déjà ralenti de 3 000 mégawatts ce lundi, elle pourrait encore baisser selon les décisions des assemblées générales des différents sites. Or le thermomètre descend depuis plusieurs jours et la consommation d’électricité augmente : la consommation de pointe est passée de 59 000 MW il y a quinze jours à 69 105 MW actuellement, d’après RTE. La solution classique dans cette situation ? Le recours aux centrales thermiques. Problème : celles-ci sont aussi touchées par le mouvement de grève du secteur de l’énergie !

La France, traditionnelle grande exportatrice d’électricité à cette période, doit donc en importer en masse : près de 6 000 mégawatts ce lundi à l’heure de pointe, selon RTE. Une mauvaise nouvelle pour la planète car ces électrons, souvent issus de centrales à charbon, sont plus lourds en carbone. Et cette situation devrait durer puisque, pour la première fois depuis le début du mouvement, des centrales pourraient décider ce mercredi de journées de grève et de baisses de charge reconductibles. Attention, dans ce cas, la facture pourrait être très salée.