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Biodiversité : la conférence de Nagoya pour les nuls
vendredi, 15 octobre 2010 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

Point d’orgue de l’année internationale de la biodiversité, ce sommet doit permettre d’enrayer la destruction à marche forcée de la nature. Un objectif que les bonnes résolutions de l’édition 2002 ont à peine effleuré. Mode d’emploi.

Qu’est-ce que la COP10 ?

La Convention sur la diversité biologique (CDB) est, avec les traités internationaux sur le climat et la lutte contre la désertification, l’une des triplées nées au sommet de la Terre de Rio en 1992. Tout comme, pour le climat, COP15 était le petit nom du sommet de Copenhague, COP10 signifie 10e conférence des parties de la CDB, qui a lieu tous les deux ans. Organisée à Nagoya au Japon du 18 au 29 octobre, elle réunira les 193 pays signataires.

A quoi ça sert ?

Le texte signé en 1992 affiche trois objectifs. Le premier est limpide : la « conservation de la biodiversité ». Le deuxième concerne « l’utilisation durable de ses éléments », c’est-à-dire « la mise en place de pratiques durables dans l’exploitation forestière, l’agriculture, l’utilisation des ressources halieutiques… », résume Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Le troisième, plus novateur, prévoit un « partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques ». Par exemple pour l’utilisation – par une entreprise pharmaceutique – d’une molécule issue d’une plante médicinale traditionnelle.

Quels sont les enjeux de la conférence ?

Le troisième pilier, en négociation depuis 2002, est justement « l’un des grands points attendus, surtout par les pays du Sud, insiste Sébastien Moncorps. Ce texte juridique international définira quelles sont les règles à respecter et notamment quelle part revient au pays mais aussi aux communautés autochtones. » Nagoya devrait aussi permettre de faire le point sur l’IPBES, cousin du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour la biodiversité avant sa naissance officielle prévue à la fin de l’année à l’ONU.

La conférence de Nagoya a « pour enjeu essentiel l’adoption d’un plan stratégique avec des sous-objectifs, des points d’étape et des indicateurs », complète Christine Sourd, directrice-adjointe des programmes au WWF. « En 2002, on avait adopté un objectif ambitieux (pour 2010, ndlr), mais sans se donner de feuille de route ni expliquer comment on allait le réaliser », rappelle Sébastien Moncorps. Résultat : un ratage complet. « Le taux d’extinction d’espèces animales et végétales est désormais 1 000 fois plus élevé que le taux habituel connu jusqu’à ce jour », déplore Ahmed Djoghlaf, secrétaire exécutif de la CDB. En cas de réussite, « ce plan peut donner une légitimité aux ONG pour demander aux Etats de respecter leurs accords internationaux », espère Christine Sourd.

Où en est-on ?

Comme pour le prochain sommet sur le climat de Cancún, COP10 a déjà fait l’objet de plusieurs sessions de négociation. Résultat : « On a un texte préparé par le secrétariat de la CDB dans lequel plusieurs phrases sont entre crochets, car les pays n’ont pas trouvé de consensus. L’objectif sera de réussir à enlever tous les crochets », décrypte Sébastien Moncorps. Le protocole sur les ressources génétiques – « Access and benefit sharing » (ABS) – concentre l’essentiel des crochets, au point de conditionner le reste des débats. Et les questions sont nombreuses : « Ne va-t-on parler que de la plante et de l’animal ou aussi des dérivés ? Est ce que la haute mer est concernée, est-ce que c’est rétroactif ? », se demande Christine Sourd.

Quant au plan stratégique, il compte pour l’instant 20 objectifs sur la surpêche, l’arrêt des incitations financières perverses, la lutte contre les espèces invasives, le développement du réseau des espaces protégés… Les passages manquants portent sur les niveaux d’ambition : « Est-ce qu’on élimine complètement la surpêche ou est-ce qu’on fait des efforts tendant vers cela ? », détaille Sébastien Moncorps.

Qui pèsera dans les négociations ?

Il y a d’abord les hommes. Contrairement à Copenhague, peu de chefs d’Etat sont attendus. Ahmed Djoghlaf sera chargé d’animer la conférence en tant que secrétaire exécutif, avec à ses côtés pour le pays hôte, Ryu Matsumoto, ministre de l’Environnement japonais. Or le Japon n’est pas chaud pour accueillir un Copenhague bis, autrement dit un fiasco. Et surtout, il« veut redorer son blason et faire oublier l’image qu’il a sur certaines espèces emblématiques et sensibles comme la baleine et le thon rouge », note Christine Sourd. Pour Sébastien Moncorps, « le grand bloc qui mène les négociations est le G77 (composé de 130 pays en voie de développement, ndlr) qui a une grosse coordination pour défendre ses positions, aux côtés de pays moteurs comme l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud… ».

En l’absence notable des Etats-Unis, qui n’ont jamais signé la convention, c’est l’Europe qui mène la danse pour le Nord, avec une position plutôt en pointe sur le fond, « même si l’on n’est pas sûr que les financements suivront pour autant », note Christine Sourd. Mais que veut dire un traité sans les Américains ? « Contrairement au CO2 qui n’a pas de frontière, la dégradation de la biodiversité est plus localisée », rétorque-t-elle. Avant d’ajouter, non sans ironie : « Les Etats-Unis ne rentreront en jeu que lorsque la CDB cadrera avec leur logique économique – comme pour Kyoto et le marché carbone – donc cela ne presse pas ».