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La vie s’allonge, on ne va pas pleurer !
jeudi, 14 octobre 2010 / Jean Viard /

Sociologue et directeur de recherches au Centre d’étude de la vie politique française (Cevipof)

Vivre moins longtemps pourrait sauver notre système de retraites souligne, non sans humour, Frédéric Chomé, chroniqueur sur « Terra eco ». La vie s’allonge et nous ne savons pas nous en réjouir, pense au contraire le sociologue Jean Viard.

La vie s’allonge et nous ne savons pas nous en réjouir. En un siècle, nous avons gagné vingt-cinq ans d’espérance de vie. Onze ans depuis 1945. Cinq ans depuis 1981. Trois heures par jour actuellement. C’est d’ailleurs pour cela que nous serons bientôt neuf milliards : nous sommes contemporains plus longtemps.

Si vous avez la chance d’avoir du travail pendant 42 ans, 35 heures par semaine, vous travaillerez en tout 63 000 heures dans votre vie. Mettons 70 000, avec les heures sup et autres compléments. La vie en France dure en moyenne 700 000 heures. Le travail égale donc moins de 10% de la vie en 2010. En 1900, on travaillait 40% de sa durée de vie. Là est la grande révolution sociale du dernier siècle.

Nous avons bâti une société de vie longue et de travail court, encadré par un droit social considérable. Immense libération. Relisez Zola ou Marx. Nos enfants vivront 100 000 heures de plus que nous. Combien d’heures devront-ils travailler ?

Pourquoi, dans ce contexte, de tels conflits, de telles angoisses ? Parce que nous n’avons pas su sacraliser un modèle social européen où la durée du travail est d’environ 10% de l’existence. Ce modèle a été construit par cent-cinquante ans de luttes et de négociations. Avec des dates symboliques, comme la retraite à 60 ans. Certes, un jour, la retraite à 60 ans fera sourire. Mais pourquoi mener des batailles idéologiques qui fragmentent la société ?

Nous avons besoin de sortir d’une gestion comptable de nos vies pour y retrouver du sens. Et de la justice, de la solidarité en particulier avec les ouvriers dont la vie doit cesser d’être plus courte – et avec les femmes qui sont les grandes perdantes des réformes en cours. L’incapacité de ce pays, et de ce pouvoir en particulier, à organiser de grandes négociations est stupéfiante. Pourtant, on avait bien commencé avec le Grenelle de l’environnement. Permettez-moi de conclure en rappelant que nous passons chacun 100 000 heures devant la télé. Il y a peut-être là un peu de temps à gagner ?

- Retrouvez les chroniques de Jean Viard sur le site internet du Journal du Dimanche.


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