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La tondeuse qui sent l’oseille
lundi, 19 janvier 2004 / Louba NACHBA

Du parking à la jardinerie, du comptoir de l’agence de voyage à l’Internet, les marques tentent de mener leurs clients par le bout du nez. Subtil et parfumé, le marketing olfactif avance masqué.

Herbe fraîchement coupée, poulet grillé, pain chaud, créations parfumées inédites, etc. Pour les professionnels de la communication, l’argent a toutes les odeurs. Puisque nous sommes dotés de cinq sens, le rouleau compresseur marketing doit mettre un point d’honneur à tous les utiliser. Alors, après l’explosion de la couleur, l’utilisation de la musique et quelques tentatives gustatives, les "savants" des boîtes de pub ont compris à quel point l’odeur pouvait faire vendre. La petite histoire raconte qu’un psychiatre américain, Alan Hirsch, avait remarqué que les clients d’un grand casino de Las Vegas dépensaient beaucoup plus dans une atmosphère baignée d’odeurs florales, diffusées subtilement autour des machines à sous. Hirsch aurait alors proposé ses conseils aux entreprises.

"Influence inconsciente"

Rien de très original, en fait. Il s’agit pour celles-ci de diversifier leur stratégie et de manipuler habilement le consommateur. Les professionnels préfèrent le terme d’"influence inconsciente". Première tactique, la diffusion d’odeurs sur les lieux de vente. Les centres commerciaux optent pour une odeur de parquet ciré - valeur sûre - alors que certains espaces ont une approche plus événementielle. Ainsi, à l’agence Planète Havas Voyage, ça sent le Coca pour les promotions sur les Etats-Unis et le couscous pour mettre à l’honneur le Maghreb. De même qu’ils diffusent de la musique, les magasins de vêtements se mettent au parfum. Ainsi, Rip Curl, dont les boutiques fleurent le monoï.

La sieste sous le figuier

"Certaines odeurs permettent de faire perdre une partie de la contrainte spatio-temporelle", souligne Jean-Marc Lehu, conseiller en marketing et communication. Traduction, les clients passent plus longtemps en un lieu odorant. Du temps en plus pour consommer, évidemment. Ou pour rassurer et fidéliser une clientèle, à l’instar du groupe Vinci qui a choisi d’assaisonner ses parkings... au thé vert.
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Kit de marketing olfactif pour une chaîne de magasins de décoration. Qu’importe le flacon, pourvu que le consommateur ait l’ivresse. (Crédit : Parfum d’image)

Les professionnels vantent une autre facette du marketing olfactif : le parfum a beaucoup à voir avec la mémoire, à la manière de la madeleine de Proust. C’est ce que souligne Grégory Mager, le P-DG de Parfum d’Image, société spécialisée dans la communication olfactive. Les enseignes Nature et Découvertes ou Résonances jouent cette carte-là. Leurs encens évoquent - ou sont censés évoquer - la "sieste sous le figuier", les "goûters d’automne", votre "corbeille de lingerie", la "cave du vigneron", ou plus récemment la "colle blanche" de notre enfance, aux effluves d’amande.

Mais le must en terme de communication consiste à s’offrir une "identité olfactive". Associer une odeur à une marque, c’est le credo de la société Parfum d’Image. Celle-ci invente des signatures olfactives pour le cognac Hennessy, les magasins Fly et même le très sérieux quotidien The Financial Times !

"Olfactory business"

Prolitec, ex-société de recherche et développement, propose de son côté une régie olfactive. Sa réalité rejoint la fiction des années 2050 du film Minority Report, dans lequel Steven Spielberg déploie des affiches de publicité odorantes. Depuis peu, France Rail Publicité inclut des diffuseurs dans les panneaux publicitaires, et propose un catalogue de quatre cents odeurs à ses annonceurs. A une enseigne qui souhaite faire la promotion de ses tondeuses, la régie de la SNCF propose ainsi l’odeur de l’herbe fraîchement coupée. A un constructeur automobile, un arôme cuir.

Entreprise d’écœurement

Tout n’est pas encore au point. En premier lieu, l’efficacité du marketing olfactif reste difficile à mesurer. Ensuite, puisque tous les goûts sont dans la nature, le caractère agréable d’une odeur demeure une affaire très personnelle. Mal contrôlée, la diffusion d’odeurs tourne vite à l’entreprise d’écœurement. Les consommateurs vont pourtant devoir s’y faire. Quelques ambitieux, dans les laboratoires, travaillent à créer des senteurs sur le Net, ce théâtre virtuel de consommation et d’échanges bien réels. Un générateur d’odeurs se présente sous forme de cartouches que l’on connecte directement à l’ordinateur. Comme France Télécom R&D avec Exhalia, un projet de web parfumé qui agrège les applications multimédia et les sites odorisés de ses partenaires, Cacharel, Vignobles de Bourgogne et quelques autres. On peut déjà imaginer des jeux vidéo ultra-réalistes aux atmosphères de pneus chauffés ou des messages électroniques fleurant la rose, que votre moitié reconnaîtrait au premier coup de narine. "Qui maîtrise les odeurs maîtrise le cœur des hommes", écrit Patrick Süskind, l’auteur du Parfum. Le cœur, et le porte-monnaie.

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