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Pourra-t-on nettoyer la Hongrie à la pelle ?
vendredi, 8 octobre 2010 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Pour sauver les sols, une solution simple : remplacer la terre contaminée par de la terre fraîche. Comment ? A la pelle, pardi, imaginent quelques ONG. Sauf qu’il faudrait 1,8 million de camions. Un chantier gigantesque.

En Hongrie, 1,1 million de mètres cubes de boues rouges recouvrent les villages et les terres. Une substance toxique, gorgée de plomb, de cadmium, de chrome et d’arsenic. Sous la couche couleur brique, la vie a disparu, désertant les champs, les rivières. Pour faire baisser le pH des cours d’eau, les autorités n’en finissent pas de verser des éléments acides. Mais pour les terres ?

« Il faut tout bonnement changer la terre, explique Gabor Figeczky, directeur-adjoint de WWF Hongrie. Avec des pelles et des camions, il faudra enlever la boue et les couches supérieures du sol, les stocker dans des réservoirs de ciment sécurisés et les remplacer par de la terre fertile. Ce n’est pas ce qui manque en Hongrie ! » Simple comme un coup de pelle ? Zsolt Szeglalvi, de Greenpeace-Hongrie table sur « 700 000 à 1 million de m3 de terre à prélever. » Un chiffre peu réaliste pour Emmanuel Bourguignon, chercheur au Laboratoire d’analyses microbiologiques des sols. Pour le prouver, l’homme a même dégainé sa calculette pour Terra eco. « Selon les chiffres officiels, une zone de 40 km2 serait touchée. Si on se contente de retirer 10 cm en profondeur, ça veut dire 4 millions de m3 à enlever. » La terre, rappelle le chercheur, pèse à peu près 1,8 tonne par m3. Ainsi, 4 millions de m3 de sol contaminé, c’est 7,2 millions de tonnes de terre à gratter, charger, transporter et stocker.

« Comme creuser une mine »

Mais scalper 10 cm de terre infiltrée par les boues, c’est un peu comme gratter la surface bleutée d’un camembert avarié. Soyons plus ambitieux. Si on retire 50 centimètres en profondeur – « ce qui est encore sans doute insuffisant », souligne le chercheur – on se retrouve avec 36 millions de tonnes à embarquer. Avec leurs pelles sous le bras, les Hongrois risquent de faire grise mine. « Il faut y aller au bulldozer. C’est un travail de la même ampleur que de creuser une mine », poursuit Emmanuel Bourguignon. La preuve ? Avec des camions de déblaiement capables d’emporter 20 tonnes, il faudra 1 800 000 chargements. « Ça ne risque pas d’être fait avant Noël ! », ironise encore le chercheur. Le gouvernement hongrois est-il parfaitement naïf ? Il table sur des travaux de nettoyage achevés dans un délai « d’un an minimum ». Et chaque jour qui passe, les substances s’infiltrent plus profondément dans la terre, menaçant les nappes phréatiques et les réserves d’eaux potables.

Mais voilà. Si la Hongrie se lance vraiment dans un changement des sols et troque ses pelles pour des camions, qui paiera ? Les assurances ? La société responsable de l’accident ? Pas assez riches. L’Etat hongrois ? A moins que l’Europe ne décide de mettre la main à la poche… Jeudi soir, la Hongrie tapait pour la première fois à la porte de la maison bleue aux étoiles. Elle a officiellement demandé l’aide de la protection civile européenne et l’envoi d’experts spécialisés dans les domaines de la décontamination et de l’environnement. Demandera-t-elle ensuite la réquisition des camions du continent pour venir charger ses terres ?