Le logiciel libre, encore un truc d’informaticiens chevelus qui font leurs intéressants ? Non ! Une des philosophies les plus essentielles pour construire le siècle à venir...

Perline et Thierry Noisette, La bataille du logiciel libre, Dix clés pour comprendre, La Découverte, coll. Sur le Vif, 128 p, 6,40 euros.

"Si les gens avaient compris comment étaient accordés des brevets, à l’époque où la plupart des idées actuelles ont été inventées, et avaient déposé des brevets, l’industrie serait aujourd’hui complètement bloquée." Quel obscur gauchiste a-t-il pu oser tenir de pareils propos anti-copyright à ses collègues, dans un courrier électronique confidentiel de 1991 ? Un certain Bill Gates, fondateur et "architecte en chef" de Microsoft. Le même qui, en public, se veut l’ennemi résolu du logiciel libre ! Cette mise au point a l’immense mérite de nous faire comprendre ce que martèle sans relâche la Bataille du logiciel libre : l’"open source" n’est pas une lubie d’informaticien patouillant du code source pour se donner un genre. Ce n’est pas davantage une marotte de "pirates" qui téléchargent de la musique au mépris des droits d’auteur. C’est une véritable philosophie qui engage notre civilisation et - n’ayons pas peur des mots - un choix politique et économique décisif pour le XXIe siècle.

Deux options

Deux options se présentent en effet au monde : d’un côté, la société "propriétaire" où la matière grise est copyrightée, cadenassée, mise au secret et détenue par une poignée de multinationales, distribuant leurs découvertes au compte-gouttes à ceux qui veulent bien mettre la main à la poche. De l’autre, la société du "Libre", où le savoir de chacun se partage, se mutualise, s’enrichit avec celui des autres, où l’émulation et le tâtonnement collectif sont une manière de travailler. Des exemples concrets ? Il y en a pléthore. D’un côté, des scientifiques qui, depuis toujours, consultent les travaux de leurs confrères, discutent, échangent, s’inspirent les uns des autres pour avancer ensemble. De l’autre, des géants de l’industrie pharmaceutique qui luttent avec férocité pour que leurs médicaments ne deviennent pas génériques, laissant des millions de malades du sida à l’agonie.

D’un côté, des logiciels libres et gratuits qui permettraient aux pays du Sud de réduire la fracture numérique à moindre coût. De l’autre, les semences "Terminator" de Monsanto produisant, après la première récolte, un grain stérile qui contraint les agriculteurs à repayer chaque année pour survivre. D’un côté, des œuvres littéraires et musicales du patrimoine mondial, qui tombent dans le domaine public pour permettre à chacun de se les approprier sans se ruiner. De l’autre, la brevetisation du génome humain, des plantes, de l’imagination et bientôt des mots, des couleurs, de l’air... Bref, on aura compris quelle vision a notre préférence. Ne serait-ce que parce que c’est la seule viable économiquement. Car des industriels qui confisquent le savoir scient la branche sur laquelle ils sont assis. Et ça, même Bill Gates est capable de le comprendre.