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Chantal Jouanno sans tabou et sans Borloo
mardi, 28 septembre 2010 / Arnaud Gossement /

Avocat, spécialiste du droit de l’environnement.

Chantal Jouanno vient de publier « Sans tabou ». Composé d’entretiens avec des intellectuels plutôt marqués à gauche, le texte de la secrétaire d’Etat à l’Ecologie entend démontrer, en ces temps de remaniement, qu’elle peut être ceinture noire de politique.

Sans tabou. Le titre du livre contraste avec la très grande retenue dont fait preuve l’auteure au fil des pages. Chantal Jouanno fait beaucoup d’efforts pour se dépeindre en écolo gentille, serait même « scolaire », « consciente de [ses] limites » et sans « aucun don particulier ». Mieux : « un journaliste m’a dit une fois en off, que j’appartenais au monde des Bisounours. Finalement, je le prends pour un compliment. » Meilleure manière de défendre son bilan et de prendre rendez-vous pour la suite. Contrairement à ce titre choc, qui n’est pas sans rappeler le Tu viens ?, de Nathalie Kosciusko-Morizet, l’ouvrage ne comporte aucune révélation spectaculaire ou confession intime.

Sans Borloo. Une chose est claire. A la veille du grand remaniement ministériel, la secrétaire d’Etat ne veut pas être réduite à l’adjointe du ministre de l’Ecologie. Les rares passages consacrés à ce dernier se lisent entre les lignes : « Le 18 juin 2007, Jean-Louis Borloo prend la suite d’Alain Juppé dans des conditions douloureuses. Il n’est pas enthousiasmé par son nouveau poste et son prédécesseur n’est pas ravi de le quitter. Il s’enferme dans un silence bougon. On s’appelle souvent mais je peine à le convaincre qu’il contribue à une page d’histoire. » Comme me le confiait un proche du numéro 2 du Gouvernement : « Pour un peu, on dirait que c’est Jouanno qui a recruté Borloo ! ».

Si Chantal Jouanno reconnaît à l’homme de Valenciennes des qualités de chef d’orchestre, du point de vue des idées, Nicolas Sarkozy reste sa référence : « Mon meilleur allié intellectuel était le président de la République. » C’est Nicolas Sarkozy qui prépare le Grenelle, prononce le discours clé de clôture, se bat à Copenhague, etc. Plus encore, Chantal Jouanno précise : « J’ai défendu et je défendrai contre vents et marées le “sarkozysme”, mélange d’ouverture, de bon sens et de détermination absolue. » Paradoxalement, à lire ce livre, c’est sans doute de la pensée centriste de Jean-Louis Borloo que Chantal Jouanno est la plus proche…

Sans les Verts. Au fil des pages, Chantal Jouanno démontre sa parfaite maîtrise du dossier et décrit cette « écologie apaisée et heureuse » qui n’est pas l’affaire d’un parti et qui dépasse le clivage droite/gauche. Chantal Jouanno a ici l’intelligence de ne pas se présenter en « écologiste de droite » et celle de ne pas attaquer frontalement les responsables des Verts. Elle n’hésite cependant pas à tirer à bout portant sur certains de leurs crédos : « On ne défend pas l’écologie en s’opposant au nucléaire. » Dans le même temps, Chantal Jouanno participe du mouvement actuel de l’écologie politique qui se prévaut moins de révolution que de réalisme. Ainsi, le « Manifeste pour un cours nouveau » qui devrait constituer le socle des valeurs de l’organisation qui naîtra de la fusion entre Les Verts et Europe Ecologie propose « une démarche de transition réaliste ». Termes que ne renierait sans doute pas l’ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy. De même, Chantal Jouanno exprime son adhésion à l’analyse de Tim Jackson, auteur de Prospérité sans croissance, qui suscite aussi l’enthousiasme d’écologistes… de gauche. Au final, la question reste entière, à savoir comment défendre l’écologie, qui n’est ni de droite ni de gauche, tout en restant à gauche ou à droite ?

Avec les intellectuels. Comme tous les écologistes, Chantal Jouanno veut changer de modèle économique mais sans toutefois braquer sa famille politique. Cela donne un exercice d’équilibriste parfois périlleux. Ainsi, si « nous n’échapperons pas à la décroissance de nos consommations matérielles », pas question de s’abandonner aux thèses de la décroissance car « l’enjeu est la pérennité de la croissance économique ». Reste qu’il faut reconnaître à cette lectrice d’Edgar Morin de n’avoir pas cédé à la facilité des prises de position tranchées mais de préférer affronter la complexité du monde. Son livre ne comporte pas ces petites phrases ciselées sur mesure pour les journalistes politiques. Il ne fait pas preuve d’un grand romantisme et, pour mettre un terme à la crise, Chantal Jouanno ne propose pas de solutions clés en main mais des pistes.

A commencer par un appel à l’intelligence, à une société de connaissance, à la prise en compte du long terme, à une revalorisation de la créativité et à la restauration du lien entre intellectuels et politiques. Voilà pourquoi le livre est constitué de paroles échangées avec les responsables de Sciences Po, de Observatoire français des conjonctures économiques ou d’Emmaüs. Dommage cependant que le livre soit si court. Au-delà d’échanges, certes intéressants – notamment sur la question du lien entre écologie et social –, on aimerait en savoir plus sur ce que propose cette ancienne élève de l’ENA s’agissant de la réforme de l’Etat, de l’après-Grenelle, de l’après-Copenhague… On aimerait aussi savoir comment l’auteure souhaite rendre populaire une écologie encore très intellectualisée.

En refermant ce livre on ne peut s’empêcher de songer à l’avenir de Chantal Jouanno. Il pourrait être sans tabou et peut être aussi sans figure tutélaire.

Sans tabou : pour que s’évanouisse la vague climato-sceptique (Editions de la Martinière, 2010)


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