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Stagiaires précaires : le décret qui crée la pagaille
jeudi, 23 septembre 2010 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Au départ, il y a une bonne intention : éviter que les étudiants se fassent exploiter par des employeurs peu scrupuleux. Mais un décret à la loi sur les stages, entré en vigueur le 1er septembre, a des effets pervers : certains jeunes ne parviennent plus à obtenir de convention.

1,2 million. C’est selon le collectif « Génération Précaire » le nombre de conventions de stages qui seraient signées chaque année en France. Autant de postes qui, selon ce mouvement, ne sont pas occupés par de vrais salariés, payés en bonne et due forme. Pour mettre un peu d’ordre dans cette pagaille, un décret a modifié la loi en novembre 2009 et est entré en application le 1er septembre dernier. Sont désormais interdits les stages « qui ne font pas partie d’un cursus pédagogique ». Censés bénéficier de la mesure, les étudiants montent pourtant au créneau contre cette interdiction. Un groupe de protestation baptisé « Touche pas à mon stage » a déjà recueilli 3 900 adhérents sur le réseau social Facebook. Et ils pourraient bien être rejoints par beaucoup d’autres après la rentrée universitaire, en octobre.

« Un flou depuis la nouvelle loi »

La raison de leur colère : ces étudiants se sont vu refuser une convention parce que leur stage n’était « pas obligatoire » dans leur cursus. Novlaine, 25 ans, diplômée de droit, à l’origine du groupe Facebook et du site Internet « Touche pas à mon stage » était inscrite en novembre dernier dans un cursus universitaire de préparation au concours d’avocat à l’université Paris 2 Assas. Elle suivait les cours du soir pour pouvoir effectuer un stage dans un cabinet. Mais, suite au changement de la législation, son université – comme d’autres – a décidé de geler pendant plusieurs semaines la signature de convention de stages non obligatoires, avant même la parution du décret d’application. Un mois plus tard, l’université est revenue sur sa décision mais l’étudiante avait déjà vu son stage lui passer sous le nez. Et maintenant que le décret s’applique, un nouveau gel a été décidé ! « C’est inadmissible. Il y a eu un flou sur les stages depuis la loi de novembre 2009 parce qu’on attendait le décret. Aujourd’hui, le décret paraît et il est tellement flou que ça recommence ! », déplore la jeune femme.

Début septembre, Antoine, 24 ans, cherchait lui un stage dans un média. « J’ai besoin d’une expérience dans le journalisme si je veux avoir des chances d’obtenir le concours d’entrée dans une école reconnue », explique-t-il. Raison pour laquelle il avait demandé une convention de stage en s’inscrivant en licence d’anglais. Mais on lui refuse : ce n’est pas prévu dans son cursus.

« Inscriptions de complaisance »

C’est un effet pervers de la mesure qui a aussi été prise pour lutter contre les « inscriptions de complaisance »… comme celle d’Antoine ! « De nombreux étudiants ne s’inscrivaient à l’université que pour obtenir une convention et n’entraient jamais dans un amphi », se souvient Rachid Dahmani, responsable des stages à l’université Lille-3 (Nord). Ainsi, après avoir obtenu son master d’histoire, Nicolas (1) avait utilisé ce stratagème en 2009 : « Je me suis réinscrit en première année de licence pour signer une convention et pendant toute l’année j’ai fait mon stage dans un site d’actualité footballistique sans jamais suivre un seul cours. » Antoine, lui, frappe depuis plus d’un mois aux portes de toutes les universités.

Contacté par Terra eco, le ministère de l’Enseignement Supérieur indique que la ministre Valérie Pécresse « a été informée de ces cas particuliers » et qu’elle va écrire aux présidents d’université « pour leur rappeler qu’elle souhaite que les stages non obligatoires soient toujours autorisés s’ils sont en lien avec le cursus ». Tout dépendra donc de l’interprétation du texte. Plusieurs universités vont se réunir à la rentrée pour essayer d’intégrer plus de stages dans leur cursus.

Payer pour travailler

Le pôle de recherche et d’enseignement supérieur (Pres) du Nord-Pas-de-Calais a, lui, tenu une réunion mardi dernier. « Nous avons préconisé de permettre aux étudiants en licence 3 de faire un stage de huit semaines avec rapport qui serait noté et considéré comme une matière à part entière », indique Claudine Dumont, en charge de l’insertion professionnelle au Pres. Pas de stage avant la troisième année, pas sûr que cela suffise à satisfaire les étudiants.

De leur côté, le syndicat étudiant Unef et le collectif « Génération Précaire », pourtant à l’initiative de cette interdiction, sont eux aussi mécontents. Julien Bayou, l’un des membres fondateurs du collectif, craint que les exceptions prévues (2) ne permettent à certains instituts, qui se sont spécialisés dans la vente de conventions bidons contre plusieurs centaines d’euros, de poursuivre leur business sur le dos d’aspirants stagiaires prêts à payer pour travailler.

Augmentation des indemnisations

Etudiants et associations de défense des stagiaires s’opposent au texte pour des raisons différentes mais convergent sur les solutions : plutôt que d’interdire les stages hors cursus, ils proposent de ne les accorder qu’aux étudiants qui suivent les cours. Ils demandent surtout une augmentation des indemnisations en proportion du nombre d’années d’études effectuées. Malheureusement, selon le ministère, ce genre de mesure « n’est pas à l’ordre du jour ».

(1) Le prénom a été changé

(2) Sont également acceptés les stages organisés dans le cadre :

- de formations permettant une réorientation et proposées aux étudiants, notamment sur les conseils des services d’orientation ou d’un responsable de l’équipe pédagogique de la formation dans laquelle l’étudiant s’est engagé initialement ;

- de formations complémentaires destinées à favoriser des projets d’insertion professionnelle et validées en tant que telles par le responsable de la formation dans laquelle est inscrit l’étudiant ;

- des périodes pendant lesquelles l’étudiant suspend temporairement sa présence dans l’établissement dans lequel il est inscrit pour exercer d’autres activités lui permettant exclusivement d’acquérir des compétences en cohérence avec sa formation. Dans ce cas, en complément de la convention de stage, l’établissement d’enseignement et l’entreprise concluent un contrat pédagogique.

- L’enquête du « Parisien », menée en mai dernier, sur le business des conventions de stages bidons.

- Une enquête en caméra cachée, diffusée mardi 8 juin 2010 sur TMC, qui montre comment les jeunes diplômés se voient proposer des stage de complaisance.