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Où est donc passée la coopérative politique de Daniel Cohn-Bendit ?
lundi, 20 septembre 2010 / Arnaud Gossement /

Avocat, spécialiste du droit de l’environnement.

Les Verts et Europe Ecologie vont fusionner dans quelques semaines dans un nouveau parti. Comment fonctionnera-t-il ? Avec quel projet politique ? L’analyse de notre chroniqueur Arnaud Gossement qui réagit sur les deux textes fondateurs soumis aux militants.

« Le mouvement politique que nous devons construire ne peut s’apparenter à un parti traditionnel. Les enjeux du XXIe siècle appellent à une métamorphose, à un réagencement de la forme même du politique » : tels étaient les termes de Daniel Cohn-Bendit dans une tribune publiée le 22 mars dernier, dans le journal Libération. Alors que le Manifeste et les statuts de l’organisation, qui devrait bientôt permettre de dépasser Les Verts et Europe Ecologie, seront bientôt soumis au vote des adhérents, l’appel du 22 mars a-t-il été entendu ? Moins lyrique, le dessin de la nouvelle organisation révèle un réalisme et un pragmatisme qui seront peut être davantage à même d’en garantir la pérennité.

Une coopérative politique ? Le mouvement politique, qui devrait prendre la suite des organisations écologistes actuelles, sera constitué de trois piliers : un réseau coopératif, un parti politique et d’un pôle éthique constitué de comités et d’observatoires chargés de veiller au respect de principes fondamentaux comme celui de la parité. Le réseau comprendra des membres qui ne seront pas contraints d’adhérer au parti. Le parti, de forme assez classique, sera composé de personnes physiques et sera structuré sur trois étages : du comité local aux instances fédérales en passant par le niveau régional. Un Congrès, un Parlement fédéral et un Bureau exécutif auront pour charge de piloter le tout.

Deux éléments sont à souligner : la volonté de ne pas constituer de courants et la création d’un collège de 30 « délégués nationaux thématiques » chargés de produire et de rechercher des idées, dans tout le mouvement et à l’extérieur. Le projet de statuts ne précise pas si ces délégués peuvent parler au nom du mouvement, un seul poste de porte parole étant prévu au sein du Bureau exécutif. L’histoire enseigne cependant que le porte parole des écologistes politiques n’est pas toujours le plus entendu.

Démocratie directe ou représentative ? Le modèle démocratique de la cité antique d’Athènes semble avoir été une source d’inspiration pour les auteurs du projet. L’un des principaux défis de ce nouveau mouvement tient en effet à l’articulation entre le parti et le réseau, entre le niveau représentatif et le niveau participatif, le second étant conçu comme ne procédant et ne dépendant pas du premier. Pour ce faire une « Agora » est créée qui sera composée à parité de membres du parti et du réseau. C’est sans doute le fonctionnement de ce dernier qui est le plus incertain et qui sera sans doute davantage fonction de sa pratique que de ses statuts.

A noter : les organisations extérieures qui voudraient rejoindre le mouvement devraient s’inscrire dans ce réseau à défaut de pouvoir le faire directement dans le parti lui-même. En tout état de cause, la gouvernance d’un réseau composé à la fois de militants apolitiques membres et d’organisations partenaires sera sans doute complexe mais sa vocation prioritaire est celle d’un lieu d’échanges et de formations d’idées, voire de sélections de nouveaux « talents » pour le parti.

Un parti de gauche ? Le réalisme est également l’une des clés de rédaction du « Manifeste pour un cours nouveau », rédigé par Jean-Paul Besset. Ce texte comporte nombre de références au vocabulaire de gauche comme son titre emprunté à celui d’un livre de Léon Trotsky consacré….à la démocratisation du parti bolchévique ! Le clin d’œil ne manque pas de sel. Reste que ce manifeste de 2010 est également marqué du sceau du réalisme dés son introduction qui propose une « une démarche de transition réaliste ». Ce manifeste place clairement l’écologique politique au-delà du clivage droite/gauche car « force est de constater que, dans les programmes et les décisions des formations de droite, de gauche ou du centre, l’intégration de la question écologique apparaît plus comme une posture d’opportunité, une concession à l’air du temps, que comme un véritable tournant. »

Reste qu’en l’état actuel du système électoral, le manifeste précise que « L’écologie politique est donc conduite à envisager ses alliances avec les partis de gauche ». Il ne faudrait cependant pas réduire les 14 pages de ce texte à la question de l’alliance à gauche. Ce qui est remarquable, au-delà d’un constat assez pessimiste sur l’état du monde et l’urgence d’une « césure » tient surtout à cette phrase : « L’écologie politique ne prétend à aucune conception théologique de la vérité ». Plus encore, les écologistes « ne sont ni des pères fouettards ni des donneurs de leçons ». L’héritage du Pacte écologique n’est donc pas oublié : convaincre plutôt que d’imposer, l’écologie désirable plutôt que punitive, la décroissance sélective plutôt que la décroissance tout court. Une telle analyse n’aurait peut être pas été possible, il y a encore peu de temps et vise clairement à ouvrir l’audience du mouvement confronté au recyclage des idées vertes par les « grands » partis.

Au final, les responsables d’Europe Ecologie et des Verts que j’ai pu interroger semblent plutôt confiants avant la mise à l’eau du navire. Eric Loiselet, venu du parti socialiste, me confiait ainsi croire en cette « régénération d’un écosystème politique ». Verre à moitié plein : il est certain que beaucoup d’observateurs ne pensaient même pas possible cette fusion des Verts et d’Europe Ecologie. Verre à moitié vide : le système électoral actuel ne permet pas l’éclosion de formes partisanes radicalement différentes.