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Aux origines du néolibéralisme
jeudi, 13 janvier 2005 / Thomas Boccon-Gibod

Qu’est-ce que le néolibéralisme ? La publication des cours de Michel Foucault, donnés au Collège de France, permet de répondre à la question et révèle quelques surprises.

Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Seuil/Gallimard, 2004, 355 pages, 25 euros.

Le néolibéralisme n’est pas une simple actualisation du libéralisme classique. C’est l’un des grands mérites de ce cours de Foucault, prononcé en 1978-1979, que de le mettre en lumière. On peut en effet considérer cette somme époustouflante d’érudition et d’originalité - liberté de ton qu’illustre, aujourd’hui, la variété de destins de ses anciens amis, situés de l’extrême gauche au MEDEF - comme une étonnante leçon d’histoire.

Ainsi, on découvre que la doctrine néolibérale s’est nourrie essentiellement en Allemagne, dans les années 30, contre l’Etat nazi perçu comme une sorte de conséquence monstrueuse mais logique du dirigisme économique. Et c’est aussi en Allemagne, et non aux Etats-Unis, que ces thèses radicales ont pu trouver leur première application pratique, aux lendemains de la guerre : la RFA ne s’est en effet constituée qu’à partir de ses capacités industrielles et non de ses structures étatiques, complètement démembrées. Par la suite, des gens comme Hayek ont pu, via leur exil forcé pendant la guerre, faire le lien avec les Etats-Unis, où ces idées ont trouvé de puissants relais (notamment avec l’Ecole de Chicago).

Nouveau gouvernement

Mais c’est sans doute la portée politique de cette histoire qui importe le plus aujourd’hui. Aux origines du néolibéralisme, on trouve en effet l’idée que c’est seulement l’économie qui doit permettre la coexistence des libertés individuelles, en limitant le pouvoir de l’Etat, de l’intérieur. On abandonne donc le modèle classique de la souveraineté de l’Etat au profit d’une "technique de gouvernement". Et, de là, on en vient à définir d’abord l’individu d’après ses propres forces productives : il devient un "entrepreneur de lui-même", qui devra, d’après les canons économiques reçus, s’adapter, innover, etc. On parle donc de "capital humain" ; on redéfinit la culture comme "capital culturel", et le corps comme "capital (ou patrimoine) génétique", à préserver ou à faire "fructifier"... éventuellement par manipulation ou par clonage !

Foucault ne prend pas explicitement position par rapport à ces bouleversements : il s’agit avant tout, pour lui, de faire apparaître ce que la situation a de neuf, en donnant des moyens adéquats pour agir sur celle-ci. Il procède ainsi à une passionnante analyse du socialisme, qu’il estime prisonnier d’une logique de l’Etat et mal à l’aise avec cette rationalité gouvernementale devenue la norme. On est donc loin des clichés et des procès d’intention, mais très proche de solutions vraiment originales aux problèmes politiques qui sont les nôtres. Seulement 26 ans plus tard...


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