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Prix de la nature : « Les coûts sont réels, autant les afficher »
lundi, 20 septembre 2010 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Depuis 2008, une équipe de chercheurs tente de traduire la valeur de la nature en monnaie sonnante et trébuchante. Nom de code de leurs travaux ? « The Economics of Ecosystems & Biodiversity ». Joshua Bishop, économiste et coordinateur de l’un des rapports, fait le point sur ce sujet épineux.

Terra eco : Donner un coût à la nature, ce n’est pas du goût de tout le monde…

Joshua Bishop : Les gens mettent souvent beaucoup d’affectif dans cette question. Tout le monde est d’accord pour dire que la valeur de la nature, ce n’est pas zéro. Mais il faut aussi admettre qu’elle n’est pas infinie. Tous les jours, nous prenons des décisions qui participent à l’éradication ou à la protection de la nature. Cela implique des coûts. Par exemple, si une compagnie installe un équipement de traitement de l’eau, elle dépense de l’argent. Il y a une valeur implicite qui reflète l’avantage d’avoir une eau pure.

Les gens qui combattent le principe d’une monétarisation préféreraient qu’on se contente d’imposer une norme, une limite à ne pas franchir. Qu’on décide par exemple que la pollution ne doit pas excéder un certain niveau. Mais, qu’on le veuille ou non, ça revient à fixer un prix ! C’est comme pour le CO2. Le prix de la tonne de carbone ne reflète pas la valeur inhérente au carbone mais est dicté par les politiques gouvernementales qui fixent des limites d’émissions. Les prix implicites existent déjà. Autant être transparent et les afficher. Et puis, insister sur le fait que la valeur de la nature est infinie, c’est finalement dire aux producteurs et aux consommateurs qu’ils peuvent continuer d’en user à leur gré.

Fixer un prix, d’accord, mais lequel ? Si une tonne de carbone vaut une tonne de carbone, une rivière ne vaut pas un chêne. Et une rivière de France ne rend pas les mêmes services aux hommes qu’une rivière du Brésil...

La biodiversité, c’est un peu comme l’immobilier. Nous ne disons pas qu’un appartement à Paris vaut un appartement à Marseille. Ils ont tous deux une valeur, mais une valeur différente. De la même manière, une zone humide n’aura pas la même valeur qu’un habitat naturel. En revanche, pour aller au delà du cas par cas, on peut fixer des critères fixes et les inscrire dans un système à l’échelle d’une région ou d’une zone.

Dans le rapport intermédiaire, nous donnions un prix global à la destruction des écosystèmes (1). Aujourd’hui, nous préférons donner des chiffres locaux. 100 ou 1000 petits chiffres et des études de cas ont sans doute plus de sens pour les villes et les régions.

Certaines régions du monde donnent-elles déjà un prix à la nature ?

Oui, la monétarisation se pratique notamment en Australie et aux Etats-Unis. Dans une majorité d’Etats australiens par exemple, les autorités locales ont décidé qu’il ne fallait pas détruire la végétation indigène. En gros, ils ont divisé l’espace en trois catégories. Dans les réserves naturelles, on n’a plus le droit d’y toucher. Ailleurs, on peut y toucher mais partiellement. Enfin, dans une troisième zone, où la pression immobilière est grande, on peut détruire cette végétation à condition de compenser ailleurs. On peut par exemple acheter une vieille ferme et embaucher un écologiste qui restaurera la végétation indigène. Les Etats se chargent généralement de superviser la transaction. Ils imposent donc une limite – la quantité de végétation indigène ne doit pas descendre en dessous de ce qu’elle est aujourd’hui – et le prix fixé est le résultat de cette limite.

Les gouvernements sont-ils réceptifs à ce concept de nature monétarisée ?

Oui, globalement. Même s’ils ne sont pas tous d’accord sur l’estimation de cette valeur ou sur les moyens à mettre en place pour inciter les gens à changer : la taxation, le marché... Et l’évaluation peut être aussi utile dans les pays en développement ! Dans nos rapports, nous avons montré que les gens les plus pauvres dans les pays les plus pauvres sont ceux qui dépendent le plus des écosystèmes. S’ils attendent que des pays comme la France fassent quelque chose, ils peuvent souffrir longtemps.

(1) 7% du PIB mondial en 2050.

- Le site de « The Economics of Ecosystems & Biodiversity »