https://www.terraeco.net/spip.php?article12473
Faut-il vraiment imiter la Suède ?
jeudi, 16 septembre 2010 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Une économie solide malgré la crise, des habitants heureux, un système de santé efficace et pas cher… Le dernier numéro d’« Un œil sur la planète » sur France 2, dépeint un pays idéal. Au prix de quelques oublis ?

En pleine crise, la Suède affiche un taux de croissance de 4%. Et 94% des Suédois interrogés lors d’un récent sondage se déclaraient heureux. Ainsi débute le trentième numéro du magazine de France 2 « Un œil sur la planète » (diffusé lundi dernier mais toujours visible sur le site de l’émission). Le pays aurait donc trouvé un moyen d’augmenter le Produit intérieur brut sans menacer le bonheur national. Pendant près de deux heures, l’émission tente de trouver les ingrédients de cette recette miracle.

« Puritains mais pas ringards »

L’État suédois est « modeste et transparent ». Ainsi, les ministres n’utilisent aucun fonds publics pour leurs dépenses privées et voyagent en classe affaire uniquement lors de vols de plus de trois heures. Les rares contrevenants sont sanctionnés. La preuve d’une économie inspirée par une tradition « puritaine sans être ringarde », selon le magazine présenté par Etienne Leenhardt. Pour réduire son train de vie, le pays a réduit de moitié en dix ans le nombre de ses lits d’hôpitaux. Mais il a aussi tourné tout son système de santé vers la prévention pour éviter les hospitalisations. Et ça marche : l’Organisation mondiale de la Santé classe la Suède au rang des meilleurs élèves.

Quant aux habitants, ils se disent heureux à 94%, l’un des plus hauts taux au monde. Pourquoi ? Parce que l’État providence « vise le bonheur de ses citoyens », explique l’émission, citant l’exemple de la parité. Là-bas, les hommes peuvent, au même titre que les femmes, prendre un congé parental de 16 mois. Et cette vision de l’égalité hommes/femmes se traduit dans les entreprises. Mieux encore, l’intégration serait tout aussi réussie pour les 12% d’étrangers de ce pays. La politique de la Suède, pays d’Europe qui accueille le plus de demandeurs d’asile sur son sol, « donne de bons résultats » malgré quelques tensions détaille encore « Un œil sur la planète ».

Une fausse bonne idée

Après visionnage, une seule question s’impose : pourquoi ne pas s’empresser de copier le modèle suédois ? Sur son blog, le journaliste Antoine Jacob (1) n’a pas attendu de voir la fanfare nationale suédoise jouer du Abba au milieu du reportage pour estimer que celui-ci « tord un peu le cou à la réalité » et « enjolive le “modèle” suédois ou ce qu’il en reste ». Pour lui, imiter la Suède n’est pas souhaitable. Parce que les inégalités « ne cessent de se creuser dans le pays », que le système de santé « connaît de sérieux ratés », et parce qu’« un parti d’extrême droite trouvant ses racines dans l’idéologie nazie risque de faire son entrée au parlement suédois lors des élections de dimanche ». Ou encore parce que les Suédois « s’endettent pour toute une vie afin de consommer plus ou d’acquérir un logement toujours plus difficile à trouver et échapper ainsi à l’interminable système de queue donnant droit à louer un appartement ».

Pour conclure, le journaliste se demande – et nous avec – pourquoi ne voit-on à la télévision française que « la bonne facette de la médaille suédoise ». Cet été, une série de reportages réalisés par Terra eco sur les éco-quartiers pionniers du nord de l’Europe, et notamment en Suède, à Vasträ Hamnen près de Malmö et Augustenborg, touchaient également du doigt l’autre réalité d’un « modèle suédois » fantasmé.

(1) Antoine Jacob couvre les pays baltes et nordiques depuis dix ans, notamment pour le journal Le Monde. Il est également auteur du livre, Les pays baltes, publié en 2009 aux éditions Lignes de repères.