https://www.terraeco.net/spip.php?article12431
Inventaire à la précaire
mercredi, 22 septembre 2010 / Arnaud Gonzague

« Libre, seul et assoupi », Romain, Monnery, Le Diable Vauvert, 308 p., 18  euros.

La figure du flemmard sarcastique, tout imprégné d’un poli désespoir, n’est pas neuve en littérature. Depuis Diogène au moins, on sait que les marginaux qui observent d’un œil goguenard les agités s’agiter autour d’eux sont de bons garde-fous pour nous autres, lecteurs…agités. Le plus génial est sans doute Victor Bâton, le délicieux parasite de Mes Amis d’Emmanuel Bove. Ecrasé par sa désinvolture, Bâton se met volontairement sur le bord d’une société en plein galop. Mais le roman se déroule en 1924. Machin, l’anti-héros de Libre, seul et assoupi a, lui, 25 ans dans les années 2000. Certes, il n’aime ni le boulot ni les horaires, ni même tellement les gens, mais au fond, il fait comme les autres, ni plus ni moins : il galère dans une civilisation qui a érigé la galère en plan de carrière normal pour les bac +5. De fait, ses colocataires se bougent plus que lui, mais sans beaucoup mieux réussir. L’accorte Stéphanie pond des chroniques littéraires sur un site Internet qui la rémunère… en bouquins ; Valérie passe par une école de commerce – ses parents en ont les moyens financiers – en attendant d’exercer un métier qui a de grandes chances de ne pas l’intéresser ; Bruno entrecoupe ses plages de chômage avec des intermèdes précaires navrants, tout en rêvant d’embrasser un jour la carrière de journaliste sportif.

Plateau télé

Machin, le velléitaire, n’est finalement pas moins bien loti qu’eux. Il s’essaie ainsi au stage sur un plateau télé, qui est, bien entendu, peuplé de connards prétentieux et sous-payés. Il n’a pas de stratégie, pas de certitude, pas même une passion. Il aimerait, comme tout le monde, devenir un artiste, ou au moins quelqu’un de célèbre, mais sans rien faire pour : à quoi bon, les places sont si chères ?

Se boucher le nez

« Ne rien faire n’était peut-être pas la meilleure des solutions, mais au moins présentait-elle l’avantage d’être sûre. » L’intérêt de Machin, en tant que personnage romanesque, c’est qu’il n’est pas un loser. Juste un type de 25 ans, diplômé et timide, qui cherche une place, mais ne brûle pas de la trouver par « peur de devenir quelqu’un que je déteste ».

Machin pourrait exister dans une BD de Riad Sattouf ou une chanson de Didier Super. En somme, il appartient à notre époque. Mais comme c’est un roman d’apprentissage, il faut bien qu’il saisisse quelque chose. Il finit donc par se résoudre à enfiler un costume, à vendre des voitures (avec talent) et à ne pas conquérir la belle blonde mélancolique dont il est tombé amoureux – symbole d’une adolescence enfuie. « J’avais le droit de ne pas avoir d’ambition, mais j’avais le devoir de faire semblant. » C’est là que le roman de Romain Monnery perd un peu de sa crédibilité. Comme s’il suffisait aujourd’hui de vouloir avoir un CDI, de se boucher le nez et de faire mine de croire aux fables du système pour y entrer comme dans du beurre. La réalité n’est pas celle-là. Même un flemmard pourrait le voir. —