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Gérard Filoche : « Moins pour les actionnaires, plus pour les retraites »
lundi, 6 septembre 2010 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Vous avez-dit « retraite durable » ? A la veille d’une nouvelle journée de manifestation contre le projet de réforme des retraites du gouvernement, Gérard Filoche, membre du conseil national du PS, plaide pour que les salaires d’aujourd’hui financent les pensions d’aujourd’hui.

Terra eco : Que vous inspire la notion de retraite durable et comment, selon vous, y parvenir ?

Gérard Filoche : Pour y parvenir, il faut trouver un mode de financement qui soit solide. Le meilleur moyen, c’est la redistribution. Une petite part de chaque salaire est mise en commun sous la forme d’une cotisation pour être directement redistribuée à chaque retraité. C’est sûr, solide et direct : les retraites d’aujourd’hui sont financées par les salaires d’aujourd’hui. Il n’y a pas de sommes capitalisées dans des caisses d’épargne ou jouées en bourse. C’est comme cela que l’on alimente les retraites en France et, contrairement à ce que souhaite la présidente du Medef (Laurence Parisot s’est exprimée en faveur d’une retraite par capitalisation, ndlr), on ne doit surtout pas le changer.

Comment résorber le déficit si l’on ne change pas de système ?

Par définition, notre régime est en déficit parce que sa source de recettes, les salaires, est insuffisante. Les cotisations ne sont donc pas assez élevées et il y a un trop grand taux de chômage. Souvenez-vous, il y huit ans, le régime des retraites était excédentaire. Grâce à l’instauration des 35 heures, le temps de travail était partagé entre plus de Français, donc plus de gens cotisaient pour financer les retraites. Depuis, les gouvernements successifs ont voulu bloquer les salaires, baisser les cotisations et revenir sur le partage du temps de travail. Sauf que si les Français qui travaillent peuvent travailler plus, cela laisse moins de temps de travail pour les autres. Il y a donc plus de chômage et moins de gens qui cotisent. En fait, on a tari la source de financement.

Que pensez-vous de l’allongement de l’âge de départ à la retraite, prévue pour augmenter les recettes ?

Cette solution est injuste et inefficace. Injuste parce que l’on va nuire à la santé des séniors. A partir de 58 ans, deux maladies sur cinq sont liées au travail. A partir de 60 c’est trois sur cinq. Avec le stress dans les bureaux, les travaux pénibles, le travail de nuit, tout le monde souffre en travaillant à 60 ans. Et pourquoi essayer de faire travailler les gens de plus en plus vieux alors que, comme je vous l’ai dit, il faut partager le travail ? On a 23% de jeunes au chômage qui ne demandent qu’à cotiser !

Ensuite, c’est une mesure inefficace car l’histoire prouve que l’on va tarir encore plus la source de recettes en allongeant l’âge de départ à la retraite. Regardez l’effet de la réforme Fillon en 2003. A l’époque, le nombre d’annuités à effectuer au cours d’une carrière était de 37,5. Le gouvernement a fait passer le seuil légal à 41,5 annuités minimum pour toucher une pension complète. Sauf que cela n’a pas servi à nous faire travailler plus vieux. Aujourd’hui, on travaille en moyenne 36,5 annuités dans une carrière si l’on regarde la dernière photographie du marché du travail en France faite par l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques, ndlr). Le seul résultat de cette réforme, c’est que les séniors sont au chômage plusieurs années avant de toucher leur retraite et que, comme ils n’ont pas cotisé assez d’annuités, le niveau de leur pension a baissé. On s’apprête à faire la même erreur et ce sont encore les retraités qui vont le payer.

A quel point faudrait-il augmenter le niveau des cotisations ?

Je me base sur les indications du COR (Conseil d’orientation des retraites, ndlr) qui pense qu’une augmentation de 0,30 point suffirait à remettre le système à l’équilibre. Projetons nous en 2040 pour voir les conséquences d’une telle mesure. Avec une croissance moyenne à faible, le PIB (Produit intérieur brut soit la somme des richesses créées dans le pays en une année, ndlr) doublera d’ici là pour atteindre 3 900 milliards d’euros par an, nous indique le COR. C’est sur ce gâteau-là qu’il faut mesurer la part qui sera consacrée aux retraites. En augmentant les cotisations de 0,30 point, on arrive à 18% du PIB national redistribués pour les retraités. Ça n’est pas du tout insupportable de se dire que les gains de productivité que nous réaliserons dans les années à venir serviront à payer les retraites. C’est un choix de société : les gains de productivité sont pour l’instant redistribués aux actionnaires. Pourquoi ne pas s’en servir pour financer les retraites ?

Ancien membre de la LCR, Gérard Filoche a rejoint l’aile gauche du Parti socialiste en 1995. Inspecteur du travail, il est militant CGT et membre de la fondation Copernic. Il est l’auteur, avec Jean-Jacques Chavigné, de Une vraie retraite à 60 ans, c’est possible paru en avril 2010 aux éditions Jean-Claude Gawsewitch.