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« La priorité des priorités, c’est de proposer un logement aux familles roms »
jeudi, 2 septembre 2010 / Julien Kostrèche

A Nantes, des associations mènent une expérience unique en France pour loger plusieurs dizaines de familles roms. Yves Aubry, responsable d’« Une famille un toit 44 », explique l’intérêt de cette initiative, sans angélisme ni tabou.

250 à 300 familles roms vivent dans l’agglomération nantaise. Vous en connaissez un certain nombre. Qu’espèrent-elles trouver en arrivant en France ? Viennent-elles avec l’intention de s’installer dans notre pays ?

« A Nantes, dans toutes les familles ou presque, il y a quelqu’un qui est là pour raisons de santé. On ne peut pas dire qu’ils arrivent chez nous avec l’idée de s’installer et de se sédentariser en France. Mais il faut tordre le coup à cette idée reçue que les Roms sont des nomades, que cela fait partie de leur culture, qu’ils arrivent chez nous avec leurs caravanes. C’est faux. Ils ont une maison au pays, qu’ils ont quittée tant les conditions de vie leur semblaient difficiles. Ils arrivent chez nous à la recherche de quelque chose de mieux, sans que ce soit forcément très précis dans leur esprit. Si on leur propose un toit, ils le prennent, si c’est une caravane, ils la prennent aussi. L’habitat en caravane n’est pas un choix de leur part, c’est une solution qui se veut provisoire et qu’ils subissent, un mode d’habitat qui leur a souvent été proposé par les associations dans l’urgence, pour les sortir des cabanes de fortune qu’ils avaient construites en arrivant en France. »

Cette population pose-t-elle des problèmes spécifiques qui la rendrait plus difficile voire impossible à intégrer, comme l’affirment certains ?

« Est-ce qu’il y a une question rom ? Une spécificité des Roms pour se loger, se scolariser ou travailler ? En tant qu’acteur associatif sur le terrain, je ne raisonne pas comme ça. Ce sont d’abord des citoyens européens, des Roumains, à la rencontre desquels je vais. Des hommes et des femmes dans la difficulté, qui ont du mal à comprendre et à s’exprimer dans notre langue. Des enfants ballottés au gré des ouvertures et des répressions et qui ne parlent parfois pas d’autre langue que le romanès dix ans après leur arrivée en France, car ils n’ont jamais été scolarisés… La priorité des priorités, pour nous, c’est donc de trouver un logement à ces familles. A partir de là, on peut commencer à travailler avec elles. »

Vous menez une expérience inédite à Nantes pour venir en aide à quelques familles roms. En quoi cela consiste-t-il ?

« En 2004, 18 familles vivaient dans des bidonvilles dans des conditions d’insalubrité totale à la Souillarderie, près de Nantes. A l’approche de Noël, nous avons mis la pression sur les pouvoirs publics pour qu’on se préoccupe de leur situation. Les médias nous ont suivis. En accord avec la ville de Nantes, ces familles ont été relogées en mai 2005 sur un terrain aménagé, avec des mobile homes, route de Sainte-Luce. Deux associations ont été mandatées pour assurer l’accompagnement social des familles : Actarom et nous, « Une famille un toit 44 ». Bilan : en juin 2009, toutes les familles avaient trouvé une solution. Quatre avaient quitté le terrain aménagé au cours de l’expérience car ce cadre de vie ne leur convenait pas ou qu’elles n’avaient pas respecté les règles du jeu ; quatre autres familles sont parties dans le département voisin, en Vendée, où un logement leur a été proposé ; et dix autres familles ont été relogées sur l’agglomération nantaise. »

Diriez-vous que ces familles sont maintenant tirées d’affaire ? Qu’au bout de cinq ans, elle ont réussi à se stabiliser et à s’intégrer ?

« Les dix familles de 2009 restées sur la région nantaise vivent dans des logements classiques et HLM et ne posent aucun problème de voisinage. Au niveau de la scolarisation, les résultats sont plus mitigés : on a des réussites et des échecs. On constate que c’est plus difficile pour les filles de rester à l’école à partir du secondaire. Côté emploi, les hommes surtout travaillent dans l’agriculture où ils décrochent des boulots saisonniers (cueillette du muguet, de la mâche, ramassage des pommes, vendanges du Muscadet…), les seuls boulots pour lesquels la préfecture délivre facilement une carte de travail. Dès qu’ils ont l’occasion d’aller au pays, les Roms le font, pour voir leur famille. L’attachement à leur pays d’origine reste fort. Les Roms qui vivent et meurent en France sont d’ailleurs toujours enterrés là-bas.

Cette expérience peut-elle être prolongée dans le temps et reproduite dans d’autres communes avec d’autres familles roms ?

« Tenons-nous en aux faits : les trois quarts des familles ont trouvé un logement ; le suivi des familles n’a couté que 70 000 euros par an, ce qui n’est pas énorme ; ça n’a pas créé d’appel d’air puisqu’il y a sur la région autant d’arrivée de Roms qu’auparavant et autant d’expulsions chaque année. En accord avec la ville de Nantes, 25 autres familles vivent depuis septembre 2009 sur ce terrain aménagé. Mais l’expérience ne sera pas reconduite au-delà. Aujourd’hui, les projets de ce type se comptent sur les doigts d’une main en France. Il y a bien eu une tentative à Bagnolet et à Montreuil en région parisienne, mais elle fut éphémère. Cela n’est réalisable qu’avec le concours des élus. Le problème, c’est qu’ils peuvent se demander ce qu’il y ont à gagner… Si le maire de Nantes n’avait rien fait – comme tous les autres –, le lui aurait-on reproché ? Je ne me fais pas d’illusion sur la suite. Parce que Nicolas Sarkozy est allé trop loin – ce qui a gêné son propre entourage – on met aujourd’hui en lumière cette question des Roms. Mais ça va s’éteindre sans qu’on soit parvenu à trouver une solution durable. »

A quoi pourrait ressembler cette solution durable ?

« Il n’y a pas de formule magique. A court terme, on se situe toujours dans l’urgence sociale. A moyen terme, il existe des pistes, comme celle du Feder (Fonds européen de développement régional, ndlr) que les collectivités locales peuvent désormais solliciter pour construire des logements pour des populations marginalisées. A plus long terme, je crois que la coopération entre les villes, ici et là-bas – entre Nantes et Cluj en Roumanie pour ce qui nous concerne – peut permettre d’élaborer des projets de vie pour ces familles. Si les élus français et roumains se parlent, ça pourra débloquer les choses. »

A voir

En 2006, Télénantes a diffusé un documentaire sur cette expérience menée auprès des Roms. Un an après leur relogement, le réalisateur Yannick Lainé est revenu à la rencontre des familles pour comprendre ce qu’était devenu leur rêve d’intégration alors que certains Roms, n’ayant pu obtenir de titre de séjour, avaient été expulsés en Roumanie.


Une manifestation nationale prévue le 4 septembre

« Non à la politique du pilori » : c’est le nom du collectif qui s’est formé pour appeler à une manifestation samedi 4 septembre, partout en France contre la politique menée par le gouvernement. Il regroupe une cinquantaine d’organisations associatives, syndicales ou politiques de gauche, parmi lesquelles Attac, la CFDT, la CGT, Emmaüs France, Europe Ecologie, la LDH, SOS Racisme, le NPA, le PS, le PC ou Les Verts. Dans un communiqué commun, elles dénoncent les propos entendus « jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, qui étaient jusqu’à présent l’apanage de l’extrême droite » et le fait que « le président de la République lui-même montre du doigt des communautés et des groupes sociaux entiers, stigmatise les Roms, les gens du voyage, les étrangers, les Français qui ne sont pas “de souche”, les parents d’enfants délinquants, etc. ». Ce qui menace à leurs yeux « la cohésion de la société tout entière ». Par cette manifestation nationale, le collectif veut rappeler « avec force que l’article Premier de la Constitution assure “l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion” ».

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