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« Le Pakistan, c’est Katrina puissance 10 »
lundi, 30 août 2010 / François Gemenne /

François Gemenne est directeur du projet « Politiques de la terre à l’épreuve de l’anthropocène » au Médialab de Sciences Po, et chercheur en science politique à l’université de Liège et à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (CEARC). Il est notamment l’auteur de ‘Géopolitique du Climat’ (Armand Colin, 2015).

Les inondations au Pakistan ont affecté 10 fois plus de personnes que l’ouragan Katrina aux Etats-Unis. Même en cherchant bien, difficile de trouver pire catastrophe. Mais cela préoccupe peu les Français et le gouvernement qui s’obstine à expulser tous les Roms de France et de Navarre.

Ces jours-ci, sur la page d’accueil du site internet de l’Elysée, on peut revoir deux actions récentes du Président, qui semblent au premier abord sans rapport entre elles. Sous l’onglet ‘sécurité’, on peut revoir la vidéo du fameux discours de Grenoble, dans lequel le Président déclare qu’il faut absolument « maîtriser le flux migratoire », parce que notre système d’intégration « ne marche plus », et dans lequel il affirme avec force que « les clandestins doivent être reconduits dans leur pays ». Sous l’onglet ‘environnement’, on peut revoir les films qui ont été tournés lors des visites du Président aux sinistrés de la tempête Xynthia et des inondations dans le Var.

Aussi dramatique qu’aient pu être ces deux catastrophes naturelles, elles sont pourtant sans commune mesure avec les inondations qui frappent le Pakistan en ce mois d’août 2010. A l’échelle mondiale, même en cherchant bien, il est difficile de trouver pire catastrophe. Katrina, à titre de comparaison, avait affecté deux millions de personnes. C’est dix fois plus de personnes qui sont affectées ici, dans un pays qui manque de toutes les ressources pour leur venir en aide, et dont on connaît la fragilité politique. J’ignore dans quelle mesure cette question tracasse le gouvernement, tout occupé qu’il est à expulser tous les Roms de France et de Navarre. Elle préoccupe peu les Français, en tout cas. Les organisations humanitaires peinent à récolter des dons, et un sondage en ligne du Figaro.fr révélait récemment que plus de trois quarts de ses lecteurs ne s’estimaient pas concernés par la crise pakistanaise.

Il se trouve une majorité de Français, par contre, pour soutenir les expulsions massives de Roms, ou pour approuver qu’il soit établi une distinction entre les ‘Français de plein droit et les Français à l’essai’, pour reprendre une jolie formule de BHL dans Le Monde. Quel rapport entre la politique sécuritaire du gouvernement et les catastrophes naturelles que l’on vient d’évoquer ? Celui-ci : tandis que l’on cultive en France, avec un enthousiasme qui suscite une indignation internationale et fait honte au pays, la haine de l’immigré, ce sont plus de quinze millions de personnes qui sont jetées sur les routes au Pakistan.

Si certains de ces Pakistanais, qui ont tout perdu, voulaient chercher asile en France, ils seraient considérés comme clandestins. Ils ne bénéficient d’aucun régime de protection, et seraient donc, si l’on applique les règles édictées par le Président Sarkozy à Grenoble, reconduits dans leur pays en ruines. Les Roms que l’on expulse ces jours-ci par charters entiers sont aussi reconduits dans des pays où ils ne sont pas les bienvenus : persécutés en Roumanie et en Bulgarie comme en France, ils sont aussi régulièrement victimes d’inondations, puisque les seuls terrains qu’on leur laisse sont souvent en zones inondables.

Le gouvernement pense pouvoir récolter un profit électoral en exploitant les peurs les plus basses des Français – Ahn-Dao Traxel, la fille adoptive du couple Chirac, ne va-t-elle pas jusqu’à déclarer dans France-Soir que les Roms ‘vivent comme des rats’ ?Il installe surtout l’idée d’une ‘France aux Français’, dans laquelle l’étranger serait la source de tous les maux. Cette politique migratoire de la forteresse n’est pas tenable.

C’est un été nauséabond qui s’achève. Au Pakistan, le niveau des eaux de la mer d’Arabie est monté tellement haut que l’Indus coule à certains endroits à contre-courant. En France, on semble se complaire à instrumentaliser la peur de l’autre. Ce n’est pas seulement indigne du gouvernement ; c’est aussi aller à contre-courant de la marche du monde, avec un aveuglement qui fait froid dans le dos.