https://www.terraeco.net/spip.php?article12034
Ce qu’on mange présente plus de risques que l’air qu’on respire chez soi
mercredi, 25 août 2010 / Julien Kostrèche

L’UFC-Que Choisir a trouvé l’air du domicile de la secrétaire d’Etat à l’Ecologie Chantal Jouanno bien peu sain. Et deux autres politiques sont exposés à des substances cancérigènes. Pourtant, selon le chercheur André Cicolella, le plus grave n’est pas là…

Pour sensibiliser les politiques à la question de la pollution intérieure, l’UFC-Que Choisir a testé l’air au domicile de 34 parlementaires et de la secrétaire d’Etat à l’Ecologie Chantal Jouanno. Pour la majorité d’entre eux (29 tests sur 35), la qualité de l’air intérieur a été jugée mauvaise. Deux députés, Jean Mallot (PS, Allier) et Georges Colombier (UMP, Isère) respirent ainsi chez eux des taux de benzène ou de formaldéhydes, deux substances considérées comme cancérigènes, 4 fois supérieurs aux normes recommandées. Doivent-ils s’en inquiéter ? Et nous avec ? Questions posées à André Cicolella, chercheur spécialisé dans les risques sanitaires et porte-parole du Réseau Santé Environnement.

Terra eco : Les résultats obtenus par l’UFC-Que Choisir sur la qualité de l’air intérieur vous surprennent-ils ?

André Cicollela : « Non, ça ne me surprend pas. Ça fait plus de dix ans qu’on sait qu’il a du benzène et des formaldéhydes dans l’air intérieur de nos maisons ou bureaux, et les niveaux enregistrés sont globalement toujours les mêmes depuis l’étude publiée en 1997 sur le sujet. Pour le benzène, la norme aujourd’hui fixée, et que j’avais proposée, est de 2 microgrammes par m3 d’air. Donc, avec un taux 4 fois supérieur, à 8 microgrammes, on est incontestablement au-dessus du seuil, et on a une probabilité un peu plus élevée de développer une leucémie. Mais je serais beaucoup plus inquiet si l’on avait enregistré des taux de 200 microgrammes par m3, comme cela a été constaté par Que Choisir en 2004 sur certains bâtonnets d’encens par exemple. Quant aux formaldéhydes, des taux de 5 à 10 microgrammes par m3 peuvent aggraver des problèmes respiratoires, type asthme. »

Vous n’êtes donc pas plus inquiet que ça pour la santé des deux députés en question, qui ne vont pas mourir demain d’avoir trop respiré ces substances ?

« Non. J’insiste bien : ces pollutions-là ne sont pas du tout du même niveau que celle au bisphénol qui impacte l’ensemble de la population à un niveau dont on sait déjà qu’il affecte la santé des animaux de laboratoire. On est dans un rapport de 1 à 10 000 du point de vue du risque. Il faut bien comprendre que les normes de benzène ou de formaldéhydes sont calculées par extrapolation, elles ne sont pas coulées dans le marbre, il y toujours des incertitudes… En revanche, en ce qui concerne le bisphénol, on parle de niveau d’imprégnation, de mesures de concentration de cette substance dans le sang ou l’urine. Ça n’a rien à voir. Les Canadiens viennent d’ailleurs de publier un rapport qui révèle que 95% de leurs concitoyens sont imprégnés au bisphénol. »

En somme, vous auriez préféré qu’on demande à ces mêmes politiques de réaliser une prise de sang pour mesurer leur taux de bisphénol plutôt que de tester la qualité de leur air intérieur ?

« Oui, même si la démarche a un sens, dans la mesure où elle peut sensibiliser les élus aux problèmes réels de pollution de l’air intérieur. Mais ça montre aussi que l’UFC-Que Choisir n’a pas intégré le changement de paradigme sur les perturbateurs endocriniens : avec les bisphénol, les effets peuvent être plus forts à faible dose qu’à forte dose, et transmis aux générations futures. Nous allons d’ailleurs faire un colloque à l’Assemblée nationale sur le sujet le 14 septembre prochain pour sensibiliser les élus et la société civile. »

A propos du bisphénol A , une étude américaine a pointé cet été sa présence dans les tickets de caisse. Cela représente-t-il un risque pour les personnes qui les manipulent ?

« Ce qui compte, c’est toujours l’exposition. Il ne suffit pas de connaître les concentrations d’un produit, il faut savoir de quelle manière et à quelle fréquence nous y sommes exposés. Dans le cas du ticket de caisse, la voie d’exposition est secondaire par rapport à la voie alimentaire. Et vous reconnaîtrez qu’il est assez rare qu’on ingère des tickets de caisse. Alors qu’une boîte de conserve a toutes les chance aujourd’hui de contenir du bisphénol. »

Terra eco a récemment tenté de faire ses courses en évitant le bisphénol. Mission quasi impossible. Quels seraient vos conseils pour nos lecteurs ?

« Le problème, c’est qu’il n’existe pas d’obligation d’étiquetage actuellement. Si vous voulez absolument éviter d’ingérer du bisphénol, optez pour les récipients en verre plutôt que les conserves en aluminium ou les emballages plastiques en polycarbonate, PVC ou polystyrène. N’oubliez pas que l’exposition au bisphénol se fait principalement par l’alimentation. Côté boisson, évitez l’eau issue des grandes bombonnes en plastique et les canettes de soda. Les industriels ont systématisé des procédés d’emballage depuis les années 1970 qui font que vous avez de fortes probabilités aujourd’hui de rencontrer du bisphénol dans une canette de soda ou une conserve de viande. »

Lire ici le dossier de Terra eco sur la maison toxique

- Le dossier de « Terra eco » sur la maison toxique
- Le rapport sur la biosurveillance humaine des substances chimiques de l’environnement publié par Santé Canada.
- Le communiqué de l’UFC-Que Choisir sur les encens et désodorisants d’intérieur
- L’étude de l’ONG américaine Environnemental Working Group sur la présence de bisphénol dans les tickets de caisse à impression thermique.
- Le site du Réseau Environnement Santé


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