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Les dérives du pouvoir
mardi, 24 août 2010 / Emmanuel Delannoy /

Directeur de l’institut Inspire (Initiative pour la Promotion d’une Industrie Réconciliée avec l’Ecologie et la société) et secrétaire général de la Ligue ROC

Dans l’Antiquité, on divertissait le peuple avec du pain et des jeux. De nos jours, on le détourne de l’essentiel – l’avenir de nos sociétés – avec des Roms, des faits divers et la peur de l’autre. Plus que jamais, « la maison brûle et nous regardons ailleurs ».

Dériver, les marins ne me contrediront pas, c’est se laisser porter, au gré du vent ou des courants, au risque d’en perdre son cap, ou tout au moins de s’en éloigner.

Dans son discours à l’issue des tables rondes du Grenelle de l’environnement, le chef de l’Etat avait fixé un cap clair, défini les priorités. En mettant en œuvre une politique environnementale ambitieuse, un véritable « Green New deal », la France affirmait clairement son ambition et sa volonté d’être exemplaire sur la scène internationale. Avant ce discours, des représentants d’ONG, de syndicats, d’employeurs, d’élus ou de l’Etat ont travaillé plusieurs mois d’arrache-pied, taisant leurs divergences politiques pour élaborer ensemble le meilleur compromis acceptable par tous, et bâtir une vision partagée d’un futur souhaitable. Pendant ces mois-là, les nuits ont été courtes, les réunions nombreuses et les bénévoles impliqués n’ont pas ménagé leur peine. Parmi ceux-là, inutile de dire qu’un certain nombre, pour ne pas dire un nombre certain, n’avaient pas voté pour Nicolas Sarkozy. Mais ils ont pris sur eux : l’intérêt général et la nécessité d’agir valaient bien que l’on laissât troubles, doutes et états d’âme au vestiaire…

Nous étions au début du quinquennat. Depuis, pour tenter de reconquérir son électorat le plus à droite, et dans l’espoir vain d’attirer une partie des électeurs du Front national, Nicolas Sarkozy et son gouvernement multiplient, avec un art consommé, les diversions, les contre-feux et, il faut bien le dire, ce qui ressemble de plus en plus à des dérives, dans tous les sens du terme.

Ce qui était, en octobre 2007, la priorité des priorités, à savoir la sortie de la crise écologique et la mise sur pied d’une croissance verte susceptible de créer des emplois pour tous, semble être tombé bien bas aujourd’hui dans le rang des priorités.

Que pèse t-elle aujourd’hui, cette « croissance verte », face à la surenchère quotidienne sur les questions de sécurité, l’amalgame fait entre immigration et délinquance, la stigmatisation de certaines communautés ? Fallait-il à ce point créer un climat de peur, où le danger c’est l’autre, l’étranger, celui qui est différent, alors que ce siècle qui commence a besoin, plus que jamais, d’une mobilisation de la société dans son ensemble pour affronter les mutations les plus radicales que nos sociétés industrielles aient jamais eu à affronter ?

Bien sûr, toutes ces questions ne sont pas sur le même plan. Mais la mobilisation générale nécessaire a tout à perdre d’un climat de défiance généralisée. Et le cap semblera d’autant plus lointain et inaccessible (alors qu’il est accessible, il faut le marteler !) si des diversions toutes plus irrationnelles les unes que les autres sont sans cesse mise en travers du chemin, pour des raisons électoralistes et court-termistes.

Pour autant, et parce que nous ne pouvons pas nous permettre de réinventer la roue tous les cinq ans, il est indispensable de capitaliser sur le travail accompli. Il est vital de faire vivre la somme considérable de contacts, de propositions et de pistes d’actions élaborées en commun depuis 2007. Ne serait-ce que pour cela, et quelque soit la suite des événements avant et après 2012, le Grenelle de l’environnement doit continuer. Même si, aujourd’hui, le cœur n’y est plus.

Emmanuel Delannoy est le directeur de l’institut Inspire