https://www.terraeco.net/spip.php?article11982
Faut-il interdire la spéculation sur les denrées alimentaires ?
lundi, 23 août 2010 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

« L’interdiction des transactions spéculatives pourrait faire plus de mal que de bien », estime Abdolreza Abbassian, secrétaire du Groupe intergouvernemental sur les céréales à la FAO, l’organisation onusienne pour l’alimentation et l’agriculture. En effet, en achetant les contrats à terme, les spéculateurs permettent aux vendeurs de blé de se protéger des évolutions des prix.

Les spéculateurs assument les risques à la place des agriculteurs estime Benjamin Louvet, directeur général délégué de la société de gestion Prim’Finance, dont 20% de l’activité d’investissement est consacrée aux matières premières alimentaires. « Si nous, acteurs financiers, n’étions pas là, les producteurs et les industriels seraient dos à dos pour négocier les prix. Et je pense que les premiers auraient un poids très faible dans les négociations », poursuit-il. Pour lui, même la volatilité a son utilité : « En voyant avec quelle violence le marché a évolué au début du mois d’août, chacun a pu se rendre compte de la gravité de la situation en Russie et chacun a pu prendre ses dispositions ».

Enfin, les géants du secteur trouvent aussi leur intérêt dans ce système. Les grands négociants que sont Cargill, Archer Daniels Midland ou le français Louis Dreyfus utilisent les contrats à terme à grande échelle. D’abord pour éviter toute déconvenue en cas de fluctuation, mais aussi pour spéculer. Ainsi, les bénéfices de ces grandes entreprises ont beaucoup augmenté lors de la forte hausse des matières premières en 2007 comme le rapporte une étude menée par l’ONG Grain.

Alors quoi, tout va bien dans le meilleur des mondes ? Pas vraiment. Si Abdolreza Abbassian estime lui aussi que producteurs et industriels ont appris à se prémunir des fluctuations, il rappelle qu’un acteur du marché en est toujours incapable : les pays pauvres. Au petit jeu de la spéculation sur les denrées alimentaires, ce sont eux qui se voient rouler dans la farine. « Les pays pauvres n’ont pas de dollars pour anticiper les évolutions des prix en signant des contrats à terme. Ils achètent les denrées au jour le jour et sont donc victimes directement de la hausse des prix », rappelle-t-il, citant la tragique crise alimentaire de 2007-2008->3857]. A propos des émeutes de la faim, l’écologiste et agronome américain Lester Brown soulignait, dans les colonnes de « Terra eco », que la priorité pour éviter les pénuries de nourriture, dans un contexte de croissance de la demande, était désormais « la stabilisation du climat et de la population ».