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BP, l’imposteur numéro un
mercredi, 25 août 2010 / Anne Sengès /

Correspondante de « Terra eco » en Californie, Anne Sengès est l’auteur de « Eco-Tech : moteurs de la croissance verte en Californie et en France », paru en novembre 2009 aux éditions Autrement.

Le géant britannique promettait d’aller « au-delà du pétrole ». La marée noire de Louisiane clôture dix ans de mensonges sur les énergies renouvelables.

Sur la gestion de la catastrophe par BP, lire l’interview de Thierry Libaert, spécialiste de la communication de crise et environnementale

Le 20 avril 2010, l’explosion puis le naufrage deux jours plus tard de la plate-forme Deepwater Horizon est à l’origine de la plus grosse catastrophe écologique connue aux Etats-Unis. Selon les estimations, entre 3 et 6 millions de litres de pétrole se sont déversés dans les eaux du golfe du Mexique. Désigné responsable, BP se lance dans plusieurs opérations rocambolesques affublées de noms prometteurs : « Top Kill », « Top Hat », « Junk Shot ». Le monde entier suit la fuite en direct 24 h sur 24 grâce à des webcams installées par BP. C’est un reality show ininterrompu qui montre, jour après jour, le pétrole jaillissant d’un puits situé à 1 500 m de profondeur. Avec les images de pélicans dégoulinants de pétrole, on vire au film d’horreur.

Tony Hayward, le pédégé de BP, parachuté sur place pour gérer la crise, accumule les bourdes (1). « Le golfe du Mexique est un immense océan. Le volume de pétrole que nous y mettons est donc minuscule comparé au volume total de l’océan », commence-t-il par affirmer, avant d’assurer quelques jours après qu’il est le premier à vouloir que cela cesse afin de pouvoir « retrouver sa vie d’antan ». Le 20 mai, le drapeau « British Polluters » flotte sur la façade du 1 Saint James’s Square, siège londonien de BP, un canular signé Greenpeace.

Hommage au dieu du soleil

Dix ans plus tôt, c’est pourtant British Petroleum qui « jouait » avec ses initiales, en s’engageant à aller « Beyond Petroleum » – « au-delà du pétrole » –, grâce à la magie d’un slogan inventé par l’agence publicitaire Ogilvy & Mather. Les initiales en majuscules, à la connotation impérialiste, furent alors remplacées par un « bp » en lettres minuscules. Pour l’occasion, Landor, le spécialiste de l’identité de marque, avait créé pour BP un logo en forme de fleur et de soleil rayonnant en hommage à Hélios, le dieu solaire. Coût de ce relookage ? 200 millions de dollars. En 1989, BP avait déjà modernisé son logo et promis de verdir ses stations d’essence. Sharon Beder, professeur à l’université de Wollongong en Australie, auteur d’un pamphlet sur le greenwashing de BP, rappelle qu’en 1990, BP avait dû s’excuser publiquement pour une campagne publicitaire qui osait dire que sa nouvelle essence sans plomb ne polluait pas.

Pour propulser BP sur la voie de l’après pétrole, John Browne, le patron de BP, avait choisi le cadre prestigieux de Stanford, université californienne où il avait usé ses fonds de culotte d’étudiant. Le 19 mai 1997, face à un parterre de décideurs de la Côte Ouest, John Browne s’engageait à investir dans les énergies renouvelables (solaire en tête) et tirait la sonnette d’alarme du changement climatique, réelle menace pour la planète. James Strock, le patron de l’agence californienne pour l’environnement de l’époque, applaudissait BP pour « cet acte intrépide qui allait montrer la voie aux autres sociétés pétrolières ». La même année, liant l’acte à la parole, BP se retirait de la Global Climate Coalition, lobby militant contre l’adoption de tout objectif contraignant en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. « Mais alors que BP prétendait s’insurger contre les climato-sceptiques, le groupe faisait aussi pression sur le gouvernement australien pour qu’il se garde de ratifier le traité de Kyoto », assure Sharon Beder. Pendant ce temps, entre janvier 1997 et mars 1998, BP recensait à son actif 114 fuites de pétrole dans l’Arctique américain.

Le vert banni à jamais ?

Et pendant que les écolos criaient au greenwashing, les professionnels de la pub félicitaient BP pour l’audace de son message. « A l’époque, nous jugions cette campagne excellente. Vu de l’extérieur, on avait l’impression que BP cherchait à devenir un géant énergétique d’un genre nouveau en s’intéressant aux énergies renouvelables », explique Jamey Boiter, président du groupe Bolt, agence spécialisée dans l’identité de marque.

Brusque revirement en février 2008. Tony Hayward annonce que son groupe va vendre son activité énergies renouvelables trop coûteuse et peu rentable pour se refocaliser sur l’essentiel : la production de brut. Cette année-là, Greenpeace récompense BP du « pinceau d’émeraude » pour ses efforts en matière d’écoblanchiment : « Beyond petroleum » ne consacre alors plus qu’une somme ridicule aux énergies du futur : 1,39 % au solaire et 2,79 % à l’éolien. « BP a passé l’essentiel de la décennie à faire croire qu’il était meilleur que les autres compagnies pétrolières en matière de responsabilité sociétale, alors qu’en fait, il ne faisait pas mieux et peut-être pire », note Chris Gidez, expert en communication de crise chez Hill & Knowlton.

« Le grand public n’apprend qu’aujourd’hui que ce changement d’identité n’était qu’une imposture », résume ce publicitaire qui va jusqu’à affirmer que BP ferait mieux, une fois le golfe du Mexique nettoyé, de changer de nom en adoptant par exemple celui d’Amoco (marque dont BP est propriétaire depuis son rachat en 1998). Selon Jamey Boiter, BP devrait aussi renoncer pour toujours à la couleur verte – le logo de BP est vert et jaune depuis 1947 – pour lui préférer le bleu, « couleur sereine et honnête » à condition de parvenir à se repentir.

Le précédent Exxon Mobil

La sincérité de BP avait déjà été remise en cause en 2005 suite à l’explosion de l’une de ses raffineries au Texas, incident qui avait fait 15 morts. Pour Laura Ries, consultante en marketing, auteur de La pub est morte. Vive les RP !, BP devrait s’inspirer d’Exxon Mobil, le géant pétrolier à l’origine de la marée noire de l’Exxon Valdez en 1989, la plus grosse catastrophe écologique du genre en Amérique du Nord, avant celle du golfe du Mexique : « Au lieu de tenter de rebâtir son image, Exxon Mobile a gardé profil bas et investi massivement pour prévenir les accidents. »

Mais Kevin Clancy, président de Copernicus, une société de marketing qui comptait BP parmi ses clients, constate que, malgré l’ampleur du désastre, le public a souvent la mémoire courte : « Quinze ans après le naufrage de l’Exxon Valdez, Exxon Mobil est en tête de liste des entreprises qui enregistrent le plus de profits au monde. »

(1) Le groupe a annoncé qu’il quitterait ses fonctions en octobre.