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Comment la publicité récupère l’écologie
mercredi, 25 août 2010
/ Emmanuelle Walter
,
/ Emmanuelle Vibert
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Banque, assurance, automobile, alimentation… Beaucoup d’entreprises usent et abusent de promesses écologiques pour séduire des consommateurs plus paumés que jamais. Enquête sur les dessous du marketing vert.
Mieux vaut attaquer par la mauvaise nouvelle, puisqu’ensuite vient la bonne. Le greenwashing – aussi appelé « écoblanchiment » dans la langue de Molière –, cette furieuse manière qu’ont les annonceurs et les publicitaires de peindre en vert tout et son contraire, frappe encore. Au printemps, sur Internet, le Duster, un 4x4 Renault-Dacia, roulait en pleine nature en arborant ce slogan : « Un 4x4 respectueux de l’environnement, à un prix jamais vu. » Alerté par l’ONG Agir pour l’environnement, le Jury de déontologie publicitaire (JDP) a demandé mi-juin l’arrêt de la campagne. Une sanction bien trop faible aux yeux de l’ONG. Mais Dacia, voyant monter la polémique, avait déjà retiré son visuel et amendé l’argument écolo sur son site : le 4x4 est devenu « plus » respectueux de l’environnement. La campagne de l’été 2009 pour le 4x4 Audi Q7, elle, est carrément passée entre les mailles du filet. Pas vue, pas prise.
Autre cas de greenwashing récent, inouï et non sanctionné : la campagne internationale du Crédit Agricole, diffusée sur Internet depuis février (1). Cinq spots grandiloquents vantent un nouveau concept, le « greenbanking » ou « finance verte ». Grâce au Crédit Agricole, et par la voix envoûtante de Sean Connery, les éoliennes et le soleil font reculer les catastrophes écologiques, les traders décérébrés laissent place à des financiers humanistes, et les marchés du dimanche supplantent les grandes surfaces ! Plusieurs mois après avoir découvert ces images, le publicitaire Pierre Siquier, écolo-évangélisateur au sein de la profession, vice-président de la Fondation Nicolas Hulot, à qui l’on doit l’existence du JDP, n’en revient toujours pas. « J’ai téléphoné à la directrice de la communication de la banque. Et je lui ai dit : “ Arrête, c’est exactement ce qu’il ne faut pas faire ! ” Elle ne connaissait pas le texte qui régit ces questions au sein de la profession. J’ai aussi envoyé une lettre au Crédit Agricole. Mais les pubs sont toujours là… »
Depuis deux ans, pourtant, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (Arpp), émanation des organisations professionnelles des publicitaires et annonceurs, est censée contenir les vagues de greenwashing. En amont, elle visionne tous les spots télé avant diffusion, mais pas les campagnes d’affichage, presse ou Internet. En aval, une instance associée, le Jury de déontologie publicitaire, sanctionne les réclames après publication ou diffusion, en s’appuyant sur la recommandation Développement durable. La punition n’est pas spectaculaire : un communiqué du JDP sur son site, et une lettre incitant l’annonceur à retirer sa campagne, en général achevée lorsque le jugement tombe.
Depuis 2008, année de naissance du JDP, 15 publicités comportant des allégations environnementales ont fait l’objet d’un jugement, et 10 ont été sanctionnées. Pourquoi ce chiffre ridicule ? Parce que ces pubs doivent faire l’objet d’une plainte extérieure – d’une ONG ou d’un particulier. L’Arpp ne peut pas s’autosaisir. Et pour cause : les grandes agences de publicité sont membres de son conseil d’administration… Oups. Les ONG réclament donc une haute autorité indépendante, façon CSA. Anne Chanon, responsable de la déontologie à l’Arpp jusqu’en juin dernier, est exaspérée par ces reproches. L’indépendance ? « Le Jury est indépendant, et c’est ce qui compte. » L’absence d’autosaisine ? « C’est vrai que la question se pose », concède-t-elle. Les 10 publicités épinglées entre 2008 et 2010 ? « C’est parce que les publicitaires et annonceurs font de plus en plus attention ! Le secteur automobile, en particulier, est devenu prudent. Nous avons examiné un millier de publicités liées à l’environnement en 2009. Leur nombre a plus que quintuplé en trois ans. Et pourtant, 90 % d’entre elles ont respecté la recommandation Développement durable. »
Pourquoi alors cette impression d’un écoblanchiment continu ? Laurent Terrisse, publicitaire anti-greenwashing, parle même, lui, d’une « explosion ». Explication avancée par Jacques-Olivier Barthes, directeur de la communication du WWF, qui co-anime l’Observatoire indépendant de la publicité (OIP) : « L’Arpp ne regarde pas le Web, où ont sévi les campagnes du Crédit Agricole et de Renault-Dacia. Ni le hors média : téléphonie mobile, sponsoring, placement de produits dans les émissions télé, mécénat sportif… »
Et la bonne nouvelle, au fait ? C’est que les consommateurs ne sont pas – ou plus – dupes. Les sondages se suivent et se ressemblent. Dernier en date, en avril 2010 : « Les Français et la communication durable », mené par le cabinet Ethicity et TNS Media Intelligence. On y apprend que 53 % des personnes interrogées pensent qu’il y a « trop de messages publicitaires sur la consommation durable » et 43 % « ne supportent plus les messages des marques sur l’environnement ». Et si la méfiance anti-pub gagne du terrain en France – 33 % de publiphiles et 42 % de publiphobes, selon un sondage TNS Sofres de février 2010 –, le greenwashing y est, semble-t-il, pour beaucoup. « Les grandes marques ne mesurent pas à quel point les gens sont irrités », constate Gildas Bonnel, de l’agence Sidièse. L’autre bonne nouvelle, c’est l’influence grandissante de professionnels d’un genre nouveau, les « publicitaires responsables », qui se réclament de l’écologie et du développement durable. On peut, jurent-ils, communiquer en disant la vérité et en considérant le consommateur non comme une cible mais comme un être humain.
On les classe généralement en deux catégories. Tout d’abord, les « pure players » qui, dans leur petite agence, travaillent de préférence pour des annonceurs concernés par le développement durable et s’activent au sein du collectif des publicitaires Eco-socio-innovants, un groupe de réflexion remuant. « Ce sont des publiphiles renégats, plus dérangeants qu’une ONG », salue Jacques-Olivier Barthes du WWF. Et les « insiders » qui travaillent, eux, dans de grosses agences de pub, et se chargent de faire évoluer les mentalités en interne.
Cette conjuration des indignés – consommateurs, militants écologistes, publicitaires responsables – peut-elle, à terme, contraindre les entreprises et leurs publicitaires à peser leurs messages, voire à modifier leurs pratiques ? Ou bien la crise va-t-elle reléguer ces problématiques au rang d’amuse-gueule pour fin de conseil d’administration ? On peut craindre que le naturel ne revienne au galop. La publicité est, par essence, une histoire qu’on nous raconte. —
Les Greenwashers, issus de l’ONG Agir pour l’Environnement, qui ont organisé un happening anti 4x4 au Salon de l’auto de Genève ; l’association Résistance à l’agression publicitaire ; ou encore le blogueur et communiquant Yonnel Poivre-Le Lohé.
La campagne internationale du Crédit Agricole
La recommandation Développement durable
Le site des Greenwashers
Le site du blogueur et communiquant Yonnel Poivre-Le Lohé
Le site de l’Observatoire indépendant de la publicité
Les prix Pinocchio du développement durable des Amis de la Terre
Le site du collectif des Eco-socio-innovants
Le site des Adwiser
Le site de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité
Le site du Jury de déontologie publicitaire
Le site du Conseil paritaire de la publicité
Le site de l’Association des agences-conseils en communication
Le site de l’Union des annonceurs