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François de Rugy : « Construire un nouvel aéroport est incohérent »
jeudi, 19 août 2010 / Julien Kostrèche

Quels sont aujourd’hui les principaux arguments des écologistes pour s’opposer au futur aéroport du Grand Ouest à Notre-Dame-des-Landes ? Réponse du député vert de Loire-Atlantique, François de Rugy.

Terra eco : Vous êtes un opposant de la première heure au nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mais il y a 10 ans, quand le projet a ressurgi, les arguments des écologistes étaient plus environnementaux qu’économiques. Pourquoi cette évolution ?

François de Rugy : « On a toujours développé une batterie d’arguments contre ce nouvel aéroport. Au départ on a surtout mis en avant la contradiction de ce projet avec la crise du pétrole et la lutte contre les gaz à effet de serre auxquelles nous sommes confrontés. Je me souviens encore des conclusions de M. Bergougnoux, rapporteur du débat public qui a eu lieu en 2002 : à l’époque il jugeait les objections des écologistes, qui s’inquiétaient qu’on développe le transport aérien alors que le pétrole allait devenir rare et cher, comme des propos d’utopistes altermondialistes... On a aussi mis en avant la protection de l’environnement. Mais ça n’a pas fait mouche. Même si, en terme de biodiversité, les terrains réservés pour ce futur aéroport (longtemps protégés de toute construction) ont développé une faune et une flore très riches, leur disparition ne frappe pas l’opinion. Ce n’est pas comme si on s’apprêtait à raser un pan de forêt amazonienne ou à rayer de la carte une réserve naturelle exceptionnelle. »

Vous vous inquiétez aussi de la disparition des terres agricoles sur et autour du futur site de l’aéroport. Pourquoi ?

« C’est un vrai problème. Et je ne parle pas seulement des terres situées sur le site même, actuellement exploitées par des agriculteurs qui pourraient continuer à produire des denrées aux portes d’une grande ville, avec des débouchés assurés. Je m’inquiète aussi des 2 000 hectares situés à la périphérie de l’aéroport qui seraient menacés par l’urbanisation. On parle de densifier les villes pour lutter contre l’étalement urbain, d’arrêter de grignoter des espaces naturels, de limiter les déplacements automobiles. Mais là on prend la direction contraire. Avec ça, vous pouvez toujours faire un aéroport « vert » ou HQE [1], avec des véhicules électriques et des panneaux solaires, ça pèsera peu dans la balance environnementale face au bilan d’une urbanisation galopante. »

Vos arguments économiques ont-ils plus de portée ?

« J’ai toujours pensé qu’il fallait se positionner sur le terrain économique, surtout en période de crise. Les gens se sentent tout de suite plus concernés lorsqu’on leur parle de leurs impôts. Puisque l’Etat et les collectivités locales ont décidé d’investir beaucoup d’argent public dans ce projet d’aéroport, on s’est très vite interrogés sur la pertinence de ces investissements. Déjà, je crois que les partisans du nouvel aéroport ont tort de miser sur l’accroissement du trafic aérien. Contrairement au domaine routier, où tout le monde a une voiture, dans le domaine aérien, ce n’est pas parce que vous multipliez les infrastructures que vous allez créer de la demande. Sur ce dossier, les questions sans réponse ne manquent pas. Aura-t-on réellement les moyens de d’assurer des dessertes vers ce nouvel aéroport ? Les 400 000 passagers de l’aéroport de Rennes vont-ils se reporter vers Notre-Dame-des-Landes, situé à près de 100 kilomètres ? La transformation de l’aéroport actuel en nouvelle-plateforme pour l’usine d’Airbus est-elle viable ? Enfin, quid de la ressource fiscale que représentent actuellement les 2 000 emplois du site actuel pour l’agglomération nantaise si ces emplois partent plus au nord de la Loire, à Notre-Dame-des-Landes ? »

Vous croyez toujours que l’aménagement de l’aéroport actuel suffirait amplement pour le développement de Nantes et du Grand Ouest ?

« Oui. J’y crois d’autant plus dans un contexte de crise économique et de raréfaction du pétrole. Cet aéroport présente pas mal d’atouts, même si on doit assumer d’avoir des avions qui survolent l’agglomération et passent au-dessus de nos têtes. Il serait facile de relier l’actuel aéroport au train, car les lignes ferroviaires existent déjà, ou au tramway qui ne s’arrête qu’à deux kilomètres. Il n’est situé à 20 minutes du centre-ville alors que celui de Notre-dame-des-Landes, dans le meilleur des cas (c’est-à-dire si l’on ouvre une ligne tram-train à 150 millions d’euros), sera deux fois plus loin. Dans ces conditions, les gens vont faire quoi à votre avis ? Ils vont prendre la bagnole pour rejoindre de le nouvel aéroport. Et quand vous savez que 16% des ressources d’un aéroport proviennent des parkings alentours, vous pouvez douter que le concessionnaire-exploitant soit très favorable à une liaison tram-train comme alternative à la voiture. Tout cela n’est pas cohérent. Quand on parle de sobriété au niveau des dépenses publiques, le b-a-ba, c’est quand même d’utiliser au mieux les infrastructures existantes avant d’en construire de nouvelles. »