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Incendies en Russie : y a-t-il un vrai risque nucléaire ?
mercredi, 11 août 2010 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Les flammes s’approchent depuis quelques jours de plusieurs sites nucléaires russes. « Terra eco » fait le point sur les dangers encourus à court et à long terme, sur place et à l’étranger.

Quatre zones touchées ou menacées :

Après l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en 1986, de fines particules radioactives sont retombées sur les forêts de Russie. Des forêts qui flambent aujourd’hui. Plus de 3 900 hectares de végétation contaminée ont déjà brûlé selon le service russe de défense des forêts. « Les arbres et surtout les sols sont contaminés et les incendies remettent en suspension les particules enfouies qui sont alors dispersées par les vents », explique Jean-René Jourdain, radiobiologiste à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Deux sites militaires menacent aussi d’être touchés par les flammes. Celui de Sarov, à 500 kilomètres à l’est de Moscou et celui de Snejinsk – qui abrite aussi une centrale – à 1 500 kilomètres à l’est de la capitale. « Les autorités russes assurent que les armes ont été retirées de ces sites mais aujourd’hui personne n’est capable de dire combien de matières et de déchets y demeurent encore », explique Jacky Bonnemains, président de l’association de défense de l’environnement Robin des bois.

Enfin, le cas du site de Maïak, à proximité de Snejinsk, à la fois centre de retraitement et centre militaire, est peut-être le plus inquiétant. Non seulement ses installations nucléaires sont menacées par les flammes mais ses alentours sont aussi contaminés depuis un accident dans le centre en 1957, qui avait fait une centaine de morts. L’état d’urgence a été déclaré lundi et la population évacuée face à l’ampleur du danger. « L’équivalent de 18 réacteurs nucléaires ont été retraités à Maïak depuis l’après-guerre et le site a conservé une bonne partie de cette radioactivité », affirme Bruno Chareyron, responsable du laboratoire indépendant Criirad, (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité). « Si l’on y ajoute les activités nucléaires militaires et les retombées de l’énorme catastrophe nucléaire de 1957, c’est l’un des sites les plus contaminés au monde. »


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Les risques à court terme :

Les risques à court terme sont « très faibles » pour les populations locales qui risquent d’inhaler, d’ingérer ou d’absorber des particules contaminées car leurs concentrations dans l’air sont négligeables, selon Jean-René Jourdain de l’IRSN. « Nous avons étudié l’impact de ces radiations sur une personne qui resterait quatre jours sous un nuage de fumée radioactif. Son exposition ne serait alors que trois fois supérieure à la radioactivité naturelle, ce qui est très en dessous du seuil de dangerosité. »

Pour la France, la concentration de particules arrivant jusqu’à l’Hexagone est encore trop faible pour être mesurable. L’IRSN rappelle néanmoins que les données relevées en 2002, alors que des incendies similaires avaient touché les forêts à la frontière russo-ukrainienne, n’avaient pas été jugées inquiétantes. A l’époque, la concentration en césium 137 dans l’air en France était de dix millions à cent millions de fois plus faible que le niveau de radioactivité maximum décelable à l’état naturel. Infime, donc. L’IRSN va toutefois effectuer des mesures plusieurs fois par semaine grâce à son réseau de surveillance.

Les risques à long terme

« Le risque à long terme n’est pas du tout négligeable », assure Jacky Bonnemain. « Même si l’ampleur de la catastrophe n’est pas la même, il faut se référer aux conséquences de Tchernobyl pour étudier les risques sanitaires liés à ces incendies. En effet, nous sommes là aussi face à une exposition de longue durée », renchérit Jean-René Jourdain. « Les populations situées à moins de 300 kilomètres des incendies peuvent courir un risque si elles mangent des champignons, des baies, de la viande ou boivent du lait contaminé pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Elles peuvent alors développer, dans les dix années qui suivent la catastrophe, des leucémies ou des cancers de la thyroïde. »

Et si un site nucléaire flambe ?

Selon les trois experts, le risque de voir l’un des trois sites mentionnés s’embraser est bien réel. « Le feu peut s’étendre et toucher directement les bâtiments. Mais il peut aussi menacer leur sécurité en détruisant l’alimentation électrique des installations », détaille Bruno Chareyron. Le système de refroidissement et le système de surveillance du site dépendent en partie de l’alimentation électrique. « Dans ce cas, il y a toujours des groupes de secours alimentés au diesel. Mais on peut imaginer le pire si la fumée empêche ces groupes de se mettre en marche ou empêche les équipes de maintenance de s’approcher du site pendant plusieurs jours. »

« Une impression de grande improvisation se dégage de la gestion russe de la menace nucléaire, ajoute Jacky Bonnemains. On ne sait pas vraiment à quelle distance des installations sont les incendies. Les autorités assurent avoir déplacé des déchets qui mettent normalement plusieurs mois à être déplacés. Et personne ne sait exactement combien de matières sont entreposées sur chaque site », ajoute Jacky Bonnemains.

Vu le manque d’informations, difficile d’évaluer les risques en cas d’incendie dans l’un des trois sites. « Il n’y aura pas de gigantesque explosion comme dans le cas de Tchernobyl car ce ne sont pas des réacteurs nucléaires qui sont menacés. Toutefois, on peut très bien craindre une explosion à cause des produits chimiques entreposés pour le retraitement des déchets, et voir un nuage contaminé se former. Si l’une des cuves fuit, les sols et les rivières seront touchés », analyse Bruno Chareyron. Avant de conclure : « Même s’il faut rester prudent, le risque nucléaire existe à cause des incendies. »