https://www.terraeco.net/spip.php?article1171
Nous sommes tous copropriétaires
jeudi, 9 décembre 2004 / Edouard FLAM

Certaines industries veulent faire de la propriété intellectuelle une loi d’airain, quitte à entraver la circulation du savoir. Du bon usage de la piraterie démonte leurs arguments. Et propose des alternatives. Stimulant.

Un adolescent qui télécharge gratuitement un morceau de musique sur Internet est-il "un criminel", comme le laissent entendre des représentants de l’industrie musicale ou un usager comme un autre, ce que suggère l’Adami, la société civile collectant les droits des artistes-interprètes ? Ces interprétations dissonantes du droit d’auteur montrent en tout cas que la propriété intellectuelle est tout sauf une loi qui va de soi. En fait, rappelle Florent Latrive dans Du bon usage de la piraterie [1], elle est un assemblage complexe et mouvant, un équilibre fragile entre l’aspiration d’une personne à vivre de ses "inventions" et la nécessaire diffusion du savoir.

70 années de "rab"

En France, elle fut pensée dès 1791 comme "un droit de propriété temporaire et limité dans le temps". Pour un auteur, toute sa vie, plus cinq ans post mortem. Mais depuis peu, "l’équilibre naturel est rompu et les titulaires de droit ne cessent d’étendre l’espace qu’ils contrôlent" : 70 ans après la mort pour le droit d’auteur français. Idem pour le copyright aux Etats-Unis, "grâce" aux pressions de l’industrie du divertissement, du vivant, des logiciels et des médicaments. En apparence rien que de très banal. Sauf qu’à force de breveter à tout va, d’encadrer jusqu’à l’excès, de menacer et poursuivre les affreux contrevenants on finit par poser "des péages à l’entrée de la connaissance", "au détriment de la circulation des savoirs".

Rigoureux et croustillant

Le livre narre ainsi l’épopée du Betamax, premier enregistreur vidéo destiné au public, mis au point par Sony en 1976. Une "machine-pirate" selon les studios d’Hollywood, qui déclenchèrent alors une grande offensive juridique. Au terme de huit années de procédures, les tribunaux finirent par en autoriser l’usage, ouvrant une voie royale au développement du marché de la vidéo, pour le plus grand bien des cinéphiles et des studios...

Fourmillant de petites histoires qui font la grande, Du bon usage de la piraterie déroule une thèse convaincante : la société a tout à gagner d’une vision ouverte de la propriété intellectuelle. A l’image des "nains juchés sur les épaules de géants", les contemporains cultivent leurs créations sur le terreau de celles de leurs prédécesseurs. Et transmettent à leur tour le fruit de leur travail à un public sans lequel ils ne seraient rien. On devrait donc parler de "copropriété intellectuelle", suggère Florent Latrive, qui propose l’exploration de quelques pistes, comme le domaine public payant (exploitation libre d’une œuvre, frappée d’une taxe) ou les licences "ouvertes" Creative Commons [2].

Au final, ce livre séduit parce qu’il n’est ni l’œuvre d’un alter-mondialiste en croisade contre le grand capital, ni celle d’une plume éditorialisante, servant la soupe à la morale. Pétri de rigueur et croustillant d’anecdotes, il montre que pour débattre des enjeux de l’économie du savoir, mieux vaut comprendre comment celui-ci circule. Plutôt que juger a priori ses usagers, fussent-ils des adolescents rebelles.


AUTRES IMAGES

JPEG - 35.2 ko
220 x 313 pixels