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L’année 2004, noir sur blanc
jeudi, 16 décembre 2004 / Arnaud Gonzague

Beaucoup d’ouvrages d’économie sont passés entre nos mains cette année. Certains nous ont collé une indigestion. D’autres, nous ont offert une sacrée tranche de plaisir. A l’heure des rétrospectives convenues et insipides, voici un "top five" savoureux de l’année écoulée.

Mordant

Bernard Maris, Antimanuel d’économie, Bréal, 360 p., 17 euros.

Encore un manuel pour comprendre les grandes notions de l’économie ? Oui, mais celui-ci sent carrément le soufre. Son auteur, Bernard Maris, qui fit un carton avec Ah ! Dieu que la guerre économique est jolie (Albin Michel) n’y va pas par quatre chemins : il taille en pièces la prétention des économistes (dits libéraux) à faire de leur discipline une science exacte affublée d’hypothétiques "lois" et d’un sabir "qui fait sérieux". Lui entend remettre l’économie à sa place : celle d’une philosophie, qui doit prôner la solidarité et le don, contre la concurrence. "Lorsque l’économie et les économistes auront disparu (...), auront aussi disparu le travail sans fin, la servitude volontaire et l’exploitation des humains. Régneront alors l’art, le temps choisi, la liberté. Qui rêvait ainsi ? Keynes, le plus grand des économistes."

Impressionnant

Lester R. Brown, Eco-Economie, une autre croissance est possible, écologique et durable, Seuil, coll. Economie humaine, 450 p., 23 euros.

Comment nourrir et apporter le confort au monde entier sans épuiser les ressources de notre planète ? A question ambitieuse, ouvrage gigantesque. Lester R. Brown, ex-président du Worldwatch Institute, dresse ainsi un impressionnant tableau de ce que sera notre civilisation quand son économie verra le recyclage et le renouvelable remplacer le gaspillage et l’épuisement des ressources. Son credo : les prix du marché doivent "dire la vérité écologique". C’est-à-dire prendre en compte ce qu’ils coûtent à la planète. Un bois qui provient d’une forêt stratégiquement placée doit coûter beaucoup plus cher qu’un bois provenant d’une forêt replantée. Mais, comme il l’avoue, son projet "exige une restructuration de l’économie d’une ampleur que, historiquement, seuls les temps de guerre ont connue". Serons-nous prêts un jour ?

Edifiant

Suzanne Berger, Notre première mondialisation, Leçons d’un échec oublié, Seuil, coll. la République des idées, 98 p., 10,50 euros.

La mondialisation, un phénomène nouveau ? Tu parles, Charles ! nous répond Suzanne Berger, professeure de sciences politiques à Cambridge. La France de 1870-1914 a été le témoin d’un processus de mondialisation à faire pâlir les multinationales d’aujourd’hui ! En effet, au tournant du siècle dernier, "l’internationalisation (...) atteignit dans les domaines du commerce et de la mobilité des capitaux, un niveau qu’elle ne retrouverait qu’au milieu des années 80." Et la France de la Belle époque investissait un volume net de capitaux à l’étranger bien supérieur à celui qui prévaut aujourd’hui. Sans parler des flux migratoires gigantesques, sans commune mesure avec la frilosité actuelle de notre citadelle européenne. En fait, nous sommes en train de refaire depuis vingt ans ce que la Première Guerre mondiale a mis par terre ! Ces "leçons d’un échec oublié" nous rappellent que mondialisation ne rime pas forcément avec paix sur Terre...

Bouleversant

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Abdel Mabrouki, Génération précaire, Le Cherche-Midi, 169 p., 13 euros.

Quel courage il a fallu à Abdel Mabrouki pour imposer à l’entreprise Pizza Hut, zone de quasi non-droit salarial, ce qui, ailleurs, va de soi : des horaires décents, des protections rudimentaires pour les galériens qui y travaillent et surtout, le respect de son existence de délégué syndical CGT. Harcèlement, tentatives de le mettre dehors ou de saper son autorité, manque de courage de sa centrale syndicale... Celui qui a voulu être un "caillou dans la chaussure" de Pizza Hut a tout connu ou presque, et nous le relate avec humour mais sans se départir d’une saine colère. On reste interdit par l’ampleur de la régression des "MacJobs" et par l’opiniâtreté de Mabrouki, divin emmerdeur.

Revigorant

Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, éditions de L’Aube, 239 p., 14 euros.

C’est à une salutaire séance de remue-méninges que nous convie la réédition en poche du rapport sur les richesses rédigé par le philosophe Patrick Viveret. Et si nous abandonnions le PIB comme instrument de mesure de notre dynamisme économique ? Et si l’on remettait les monnaies à la place qui est la leur ? Et si l’on inventait d’autres formes de monnaies pour permettre des échanges solidaires et justes ? Ces questions ne sont pas accessoires : elles permettent de mettre sur la table un certain nombre d’enjeux fondamentaux. "Nous avons à revoir nos modes de production, nos modes de consommation et, plus largement, nos modes de vie", réclame Viveret qui appelle à "faire un travail sur l’humanité elle-même". Ambitieux, oui... Mais tellement rafraîchissant. (Pour en savoir plus à ce propos, lire notre dossier spécial, Terra economica n°26)