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Berlin fauchée, Berlin heureuse
jeudi, 2 décembre 2004 / Hélène KOHL , / Toad

C’est la capitale de l’économie la plus puissante d’Europe. Cela ne l’empêche pas d’être une ville pauvre. Berlin ploie sous les dettes, vit essentiellement de ses administrations, attire peu les entreprises et abrite une population dépendant des transferts sociaux. Est-ce un problème ? Selon les canons de l’économie marchande, probablement. Mais à y regarder de près, Berlin affiche aussi un joli potentiel humain et ses citoyens semblent tout près de tutoyer, sinon le bonheur, du moins la sérénité. Reportage.

Cet été, les guêpes ont envahi Berlin. Conséquence d’un hiver relativement doux suivi d’une tardive saison chaude, ont diagnostiqué les experts. Conséquence surtout de la grande pauvreté de la capitale allemande. Les pompiers estiment qu’un toit sur trois abrite un nid mais ils n’ont pas les moyens de s’en occuper. Berlin est une ville sans le sou et criblée de dettes. Près de soixante milliards d’euros ! Si le touriste en balade entre la porte de Brandebourg et la Potsdamer Platz a peu de chance de s’en rendre compte - le centre-ville historique reste soigné -, les Berlinois le constatent tous les jours. Ici, c’est une piscine qui ferme, là une ligne de bus. Le long du Landwehr Kanal, c’est le royaume des herbes folles. Dans l’eau, celui des rats et des papiers gras. La nuit, certains feux tricolores sont éteints par mesure d’économie. L’automne, il faut vivre avec les feuilles mortes mouillées qui tapissent les trottoirs. Qui sait quand passeront les services de voirie !

La ville est à la remorque de son histoire

Pourtant, il y a six ans, lorsque le gouvernement allemand a quitté Bonn pour Berlin, la nouvelle capitale rêvait à voix haute. Métropole du XXIe siècle, cœur économique de la nouvelle Europe ! C’était sans compter sur les fantômes du passé, analyse Klaus Brake, professeur de développement urbain, co-auteur d’un rapport sur l’avenir de Berlin : "La ville a trois types de dettes. D’abord celles liés à sa partition en deux pendant quarante ans. Berlin ouest, cet îlot au milieu de la RDA, était une économie sous perfusion qui vivait de subventions fédérales. Subventions qui ont disparu après 1990. Ensuite, il y a toutes les dettes liées à la réunification, notamment les travaux d’aménagement et de reconstruction. Enfin, il y a les dettes de fonctionnement que la ville produit elle-même, comme d’autres en ont aussi, par exemple dans la Ruhr." Mais à Berlin, souvent, ces dernières sont encore indirectement liées à l’histoire. Des deux Berlin de la Guerre froide, la ville réunifiée a hérité de trois universités, de quatre orchestres symphoniques et de trois opéras. Ces derniers lui ont ainsi coûté 113 millions d’euros en 2003.

La perspective de voir la dette se réduire dans les dix ans à venir est faible. "Il ne faut pas s’attendre à des rentrées d’argent plus importantes. Reconnaissons-le : Berlin n’a pas une économie florissante." Le professeur Brake aime les euphémismes. A l’exception de l’an 2000 (+ 1%), l’économie de la capitale allemande est en récession depuis huit ans. En importante récession même : -1,3% en 2003, -1,1% en 2002, -1,5% en 2001. Jusqu’à -2,5% en 1996. Optimiste, le sénat de l’Economie - Berlin a le statut de Land et dispose d’un gouvernement composé de ministères appelés "sénats" - a dernièrement annoncé son espoir de renouer avec la croissance cette année. Mais les experts en doutent. Le tissu économique de la ville est trop lâche. Les firmes ont fui du temps du Mur. Pour compenser, Berlin a laissé son administration et les entreprises publiques gonfler au fil des années. Il ne fallait laisser personne sur le carreau et soutenir par tous les moyens l’autonomie de la ville. Berlin, vitrine du monde libre... l’enjeu était plus qu’économique. Avec la chute du Mur, rien n’a changé. Toujours aussi peu d’entreprises - 151000 pour 883 km² contre 295000 à Paris, 105 km² - et toujours autant de fonctionnaires (49 pour 100 habitants contre 25 à Munich). Une grande partie des recettes fiscales part en frais de personnel. Avec, parfois, une absurdité à la Ionesco. Ainsi le cas du département des réserves alimentaires, créé pour gérer l’approvisionnement de la ville en cas de blocus : les réserves alimentaires ont disparu mais pas le département ! Quant aux entreprises publiques, elles sont malheureusement souvent déficitaires. - 220 millions d’euros pour la régie des transports en 2003 par exemple.

Sony prend la tangente

L’économie berlinoise manque de compétitivité pour attirer les investisseurs. Les entreprises ne sont pas revenues. Explication cynique de Klaus Brake : "Il faut bien voir que les entreprises choisissent de s’installer à un endroit uniquement pour des raisons financières. Elles ne vont pas là où il n’y a pas d’argent. Or, Berlin n’a pas les moyens de les appâter." Ces dix dernières années, Prague et Vienne se sont ainsi révélées plus dynamiques pour drainer les échanges est-ouest. La part de l’économie berlinoise dans les exportations allemandes vers l’Europe centrale et orientale, multipliées par deux en dix ans, est passée de 4,1% en 1992 à 1,8% en 1999. Pour leurs sièges sociaux, les grands groupes préfèrent, en Allemagne, Munich et Francfort, mieux desservies depuis l’Amérique et l’Asie ; en Europe, Paris ou Londres, aux adresses plus prestigieuses. Sony a bien son siège européen sur la Potsdamer Platz. Mais la multinationale a annoncé dernièrement sa volonté de déménager, découragée par l’absence de vols directs avec le Japon.

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